Par Armand Mathieu
Michel Crépu, le directeur de La Revue des Deux-Mondes, écrit dans La Croix du 6 mars : « De tous les auteurs qui ont eu à souffrir du préjugé, Péguy est de loin le plus atteint. Mieux vaut être un véritable maudit, comme Céline ou Morand. On se bouscule au portillon, de nos jours, pour recevoir son certificat d’auteur antisémite… Quelle guigne de s’être bien tenu ! »
Et du même pas (« d’un si bon pas » comme dit Péguy) Michel Crépu s’en va publier un Spécial Drieu La Rochelle comme numéro de mars de sa revue. Hypocrite éditeur, mon semblable, mon frère…
Les 60 pages d’inédits rassemblés par la Revue des Deux-Mondes touchent presque toutes à la guerre de 1914. Cela commence par un sonnet… digne d’Oronte (Drieu avait vingt ans), Fusée : « Florale inscripti-on sur nos pages épiques/(…) De ton charme mortel, je jouis, immoral. »
C’est à l’honneur (littéraire) de Drieu d’avoir vite saisi le ridicule de cette tentative et de n’avoir publié aucun sonnet (celui-ci est le seul vestige), mais des poèmes en vers libres (Interrogation en 1917, Fond de cantine en 1919). Le sonnet est mort avec le XIXe siècle, Hérédia, Mallarmé, Verlaine ayant poussé à bout les ressources du genre, chacun dans son style. Il n’est plus tolérable que sous une forme plus ou moins ironique ou parodique, comme l’ont compris l’avocat Georges Fourest (Sonnet duCid : « Qu’il est joli garçon, l’assassin de papa ! »), ou encore le polytechnicien Auguste Detoeuf, alias O.-L. Barenton (Sonnet sur la jeune philosophe Simone Weil : « Avec un haut mépris des jeux et des ébats,/Tout au long des trottoirs de quartier maléfique,/Simone va, sans voir ni passant ni boutique,/Distraite, et négligeant de remonter ses bas… »)
En dehors du sonnet et de quelques brouillons en prose, l’essentiel des inédits, le plus intéressant (pas totalement inédit), est constitué par la correspondance enfin rassemblée de Drieu avec Jean Boyer et son cousin André Boyer (Jean était aussi cousin d’Emmanuel Berl) entre 1914 et 1940. Les lettres de guerre sont écrites de l’arrière, puisqu’à peine était-il arrivé au front, Drieu était évacué pour blessure. Pittoresque description d’un stage à Falaise au printemps 1915. Retour sur le moment où il a cru mourir en août 1914, à Charleroi ; il a eu la même pensée qu’André Lacaze, l’ami de Mauriac : « Enfin je vais savoir ce que c’est, cette fameuse mort » (à moins que Mauriac n’ait attribué à Lacaze ce qui appartient à Drieu, qu’il connaissait très bien).
Comme toujours avec Drieu, on a droit à quelques amabilités sur les femmes, qu’il appelle « les volailles » (1923). Par exemple : « Elles ont parfois l’esprit assez preste, mais jamais d’humour ni d’ironie, ou rarement authentiques. » Heureusement, il ajoute : « Ne disons pas que les femmes compliquent la vie, mais que, Dieu merci, elles la remplissent » (1928).
Le 16 mars 1945, Drieu se suicidait dans sa cachette de la rue Saint-Ferdinand, s’évitant un procès pour collaboration (et l’évitant à beaucoup de ceux qui avaient écrit dans la Nouvelle Revue française sous sa direction). Il laissait un billet : « Enterrement non religieux. Pas de prêtres. Pas d’hommes. Sauf Bernier s’il est là. Sauf Malraux s’il est là. » Dans le petit cimetière de Neuilly, il y eut tout de même, outre cinq femmes, un de ses confrères secrétaires de revue (et non des moindres : Léautaud, duMercure de France !), une petite équipe de la maison Gallimard, Gaston en tête, et les deux cousins Boyer (la Revue des Deux-Mondes donne les notes inédites prises par André ce jour-là).
N.B. La lettre datée de Saint-Briac, juillet 1925, annonçant des Olympiades le mois suivant, puis une conférence à Londres en octobre, n’est-elle pas plutôt d’avril 1924 ?