En France, on peut devenir prof des écoles avec 4,17/20 de moyenne !
Dans les académies de Versailles et de Créteil, le seuil d’admission ne dépasse pas 5/20.
Signe d’une crise des vocations pour un métier que les pouvoirs publics ne savent pas rendre attrayant.
Dans l’académie de Créteil, au moins un candidat a été reçu au concours externe pour devenir professeur des écoles 2014 avec une note moyenne de 4,17 sur 20.
Vous avez bien lu. Normalement, un élève ayant une note inférieure à 5/20 a droit à une appréciation sévère : « mauvais »… « n’a pas travaillé »… « inadmissible ». Dans l’académie de Créteil, avec la même note, on est non seulement admissible mais aussi admis.
Voici la copie du relevé des notes d’un des candidats admis dans l’académie de Créteil, dont dépend la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne. On voit que pour être admissible, il fallait obtenir 24 points sur 120, soit une moyenne de 4/20. Pour être admis, il fallait atteindre 50,10 points sur 240, soit une moyenne de 4,17/20.
L’an dernier, dans cette même académie de Créteil, le « seuil d’admission » était déjà de 4,1/20. Mais en 2012, il était de 9/20. Tout cela ne promet rien de très bon pour les élèves de Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne ou de Seine-et-Marne. Trois départements qui comptent déjà, dans certaines villes, pas mal de problèmes par ailleurs.
Hallucinant ? Il s’agit d’un concours, donc la note importe peu. L’administration retient, au terme de ce dernier, autant de candidats qu’il y a de postes ouverts, quels que soient leurs résultats, en commençant par les meilleurs.
Si un examinateur est convaincu qu’il faut écarter un candidat qu’il juge incapable d’enseigner à des enfants, sa seule possibilité est de lui coller un zéro à l’oral (français, maths…). Les zéros sont en effet éliminatoires. L’abus de ces zéros, qui volent par centaines, a soulevé une polémique l’an dernier qui se poursuit cette année. Certains candidats recalés à cause d’un zéro se retrouvent en effet parfois avec une moyenne deux fois supérieures au seuil d’admission de leur académie…
Une grande diversité des « seuils d’admission »
Les seuils ne sont pas divulgués par le ministère de l’Education, mais ils sont affichés sur les relevés de note des candidats. Pour les trouver, il faut se rendre sur les forums de discussion des enseignants du primaire.
On constate qu’il existe une grande diversité des « seuils d’admission », en fonction des académies. Il est plus facile d’être reçu dans la région parisienne qu’à Rennes… Voici quelques exemples de seuils d’admission, sur 20, pour le concours externe public :
- Créteil : 4,17
- Versailles : 4,57
- Lille : 7,1
- Grenoble : 7,18
- Poitiers : 7,8
- Amiens : 8
- Rennes : 8,6
- Bordeaux : 8,8
- Toulouse : 9,18
- Lyon : 9,18
- Nantes : 9,5
- Montpellier : 10
Certains candidats qui ont passé le concours dans des académies dans lesquels les seuils sont supérieurs à 8 l’ont un peu mauvaise. Sur un forum de discussion, une enseignante-stagiaire, gg11, admise dans l’académie de Bordeaux, rouspète ainsi :
« Je comprends la nécessité de recruter, mais […] Ça m’écœure de lire ça, quand je compare… Maintenant félicitations aux admis, mais quand même ça fait peur un tel niveau (là c’est la maman de trois enfants qui parle). »
Sur le même forum un candidat malchanceux, ccilou, ne comprend pas. Il a été recalé dans l’académie de Bordeaux avec 8,5 de moyenne. Ce n’est pas la première fois qu’il se présente au concours sans succès : en 2009, on lui avait barré la porte d’entrée dans l’Education nationale alors qu’il avait eu 11 de moyenne ! Quand il découvre que des profs sont recrutés en région parisienne avec 4/20 de moyenne, il explose :
« Franchement, je trouve certains seuils honteux ! Comment peut-on prendre aussi bas ! Même pas 5 de moyenne générale pour aller enseigner aux enfants ? Dire qu’il y a quatre ans je me suis fait recaler avec 11 de moyenne ! C’est scandaleux ! »
Pourquoi une telle catastrophe dans la région parisienne ?
Les causes de cette situation sont profondes. Le nombre de candidats a chuté depuis dix ans. Dans l’ensemble de la France, ils étaient plus de 60 000 en 2004, ils ne sont plus que 26 000 aujourd’hui. L’exigence d’un master (au lieu d’une licence) a également contribué à réduire le vivier de candidats, mais elle n’explique pas tout.
Malgré le chômage, de plus en plus rares sont ceux qui veulent aujourd’hui devenir instituteurs.
Dans l’académie de Versailles, c’est 1 210 postes qu’il fallait pourvoir et 1 090 dans celle de Créteil. Ces deux académies arrivent loin devant les autres : la troisième académie, Lille, avait 499 postes à pourvoir.
Par ailleurs, la crise des vocations croise la crise des banlieues. Le métier, en zone urbaine, est de plus en plus dur.
« Payez des cacahuètes, vous obtiendrez des singes »
Les candidats reçus en 2014 à Versailles ou Créteil ne sont évidemment pas tous mauvais, beaucoup ont reçu de très bonnes notes au concours des professeurs des écoles. Mais comment accepter que, pour répondre à la pénurie des vocations, l’Education nationale envoie dans des classes des professeurs maitrisant mal le français, ou les maths, ou l’histoire-géo, ou parfois les trois.
Pour contourner le problème, les académies ouvrent moins de postes que prévu. Mais le résultat n’est pas tellement plus brillant, car les écoles manquent alors de profs, de remplaçants, etc. On recourt alors à des vacataires, dont le niveau n’est pas toujours éclatant.
Ainsi, cette année, selon Le Café pédagogique :
« Les résultats de la session exceptionnelle du concours de professeurs des écoles montre qu’il manque environ 10% des enseignants soit 875 postes non pourvus. Ainsi il manquera 142 professeurs dans l’académie de Créteil, 46 à Amiens, 64 à Lille, 38 à Strasbourg, 47 à Toulouse et 252 à Versailles.
Alors que les années précédentes on rencontrait des manques locaux, cette année et sur ce concours il y aura des manques d’enseignants dans deux académies sur trois. »
Il existerait bien un moyen simple pour résoudre progressivement le problème, mais je sens qu’il ne va pas plaire au ministre des Finances Michel Sapin : il faudrait mieux payer les profs pour attirer plus de candidats.
Un proverbe américain résume crument les choses : « If you pay peanuts, you get monkeys », si vous payez des cacahuètes, vous recruterez des singes. Cela vaut pour une entreprise privée comme pour une administration.
D’autres pays l’ont compris, qui rémunèrent bien correctement enseignants et les valorisent. Ils misent sur l’avenir, donc sur l’éducation. Mais en France, qu’ils soient de droite ou de gauche, les gouvernements ont le nez sur le court terme (et sur ce totem idiot des 3% de déficit) : ils sont imperméables à l’argument.
Sans sourciller, le Premier ministre Manuel Valls vient d’ailleurs de reconduire le gel du point des fonctionnaires, un gel qui dure depuis déjà depuis quatre ans. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour les enseignants, mais là n’est pas le plus grave : ce n’est pas une bonne nouvelle pour les enfants.
Comme dirait Jacques Higelin, alertez les bébés !