Visite au musée Hergé

(Illustration: chromo paru dans L’aviation dans la guerre de 1939-45, publié en 1953 aux Editions du Lombard – Copyright fondation Moulinsart)

Par  Jean-Claude Rolinat

 Sur l’axe Givet, Dinant, Namur, au sud-est de Bruxelles, la ville de Louvain-la-Neuve, en plein Brabant wallon, distribue ses rues piétonnes, bordées d’immeubles en briques aux arêtes vives. C’est la seule ville nouvelle créée en Belgique depuis la fondation de l’industrieuse Charleroi en 1666. Son origine remonte à la crise linguistique entre étudiants francophones et néerlandophones, qui aboutit à la scission de l’université catholique de Louvain entre 1967 et 1968. Ce nouveau projet urbanistique amena les premiers étudiants à s’y installer en 1972. Si, à l’origine, la cité devait être une sorte de campus ouvert sur la nature, peuplée aujourd’hui d’une grosse dizaine de milliers d’habitants elle draine d’autres catégories socio-professionnelles.

L’autre titre de gloire de cette création ex nihilo est que, dans un écrin de verdure, elle héberge le musée Hergé, véritable diamant architectural, qui s’élève sur 3 600 m², œuvre de Christian de Portzamparc. Inauguré le 2 juin 2009, il est édifié sur deux niveaux en plus du rez-de-chaussée, au 26 rue du Labrador – ça ne s’invente pas ! –, et il offre aux visiteurs ses huit salles, plus une réservée aux expositions temporaires, axées plus particulièrement sur un album. Lors de mon passage, on déménageait les décors des Cigares des pharaons, et quel plaisir de se retrouver face aux éléphants du Maharadjah de Rawhajpoutalah, peints sur un gigantesque contreplaqué (première maxi-vignette de la page 61 de l’album) !

Des citations du maître de la ligne claire sont projetées sur les murs et tous les membres de la grande famille de papier imaginée par Hergé sont, eux aussi, reproduits sur des parois immaculées. Des objets-culte des aventures de Tintin sont proposés à nos regards dans des vitrines éclairées : chapeau melon des Dupond (t), maquette « d’un fier vaisseau de 3e rang de la flotte de Louis XIV », le trois-mâts « La Licorne », la célèbre fusée à damiers rouges et blancs, le fétiche tout rafistolé Arumbaya, la Ford T de Tintin au Congo et, « que le grrrrand cr’rrrique me crrrroque », le totem à l’effigie du chevalier François de Hadoque que l’on découvre dans Le trésor de Rackham le Rouge. Il y a aussi, reproduit grandeur nature, le sous-marin de poche du professeur Tournesol en forme de requin, inventé par notre génial hurluberlu afin de découvrir le trésor de l’ancêtre du capitaine Haddock.

« Que du bonheur » pour les tintinophiles avertis ou débutants, pour reprendre une formule passe-partout du langage actuel…

Des photos de famille ou des membres des équipes des studios Hergé – Jacques Martin, Bob de Moor ou Edgard P. Jacobs –, des lettres, des crayonnés, des originaux de planches de tous les albums sont eux aussi exposés dans des vitrines lovées dans de vastes salles qui évitent aux touristes de se frôler, de se bousculer. Il y a de la place, de l’espace dans les magnifiques volumes du musée. La genèse du créateur et de ses créatures nous est contée, et même le fan le plus averti découvrira toujours un « petit quelque chose » qu’il ne savait pas. Si la formidable aventure de cette BD culte traduite dans des dizaines de langues et d’idiomes minoritaires, comme nous le rappelle un puits de lumière aux parois recouvertes des couvertures de 23 albums (1), perdure à travers les générations, c’est qu’elle a un côté universel et qu’elle véhicule le beau, le bon, le juste.

Il n’y a pas que le petit reporter à la houppette

En suivant le fil conducteur de la visite, audiophone à l’oreille ou pas, on aborde des bornes lumineuses où défilent des images tirées des albums des espiègles Quick et Flupke ou des aventures de Jo, Zette et Jocko. Sur les traces de l’un des plus grands de la bande dessinée qui, dois-je l’avouer, m’a définitivement converti, dès ma petite enfance, au goût et à l’excitation du voyage, de cette recherche de « l’ailleurs », je retrouve les sensations qu’éprouvait le gamin que j’étais lorsque, d’un joli papier d’emballage, s’extrayait l’album mythique qui allait compléter ma collection.

N’oublions pas, non plus, d’autres petits personnages inventés dans les années trente pour le Boy Scout et Le Petit Vingtième avec Totor et les Hannetons, Flup, Nenesse, Poussette et Cochonet dans ses toutes premières BD, sans oublier non plus Tim l’écureuil, Popol et Virginie, on en passe et d’autres. Hergé s’est lancé aussi dans un énorme travail de dessinateur publicitaire, d’affichiste entre 1930 et 1945, cartes postales, calendriers, puis plus tard les « unes » du magazine Tintin, sans omettre de magnifiques collections de chromos thématiques : l’aviation, la marine, les transports. Les prolongements cinématographiques de l’œuvre son esquissés, une petite salle de cinéma complète le dispositif. Une section de tous les plagiats et autres contrefaçons aurait pu être intéressante, mais il semble que les initiateurs, animateurs ou propriétaires des lieux n’aient pas trop le sens de l’humour.

Attention à Big Brother

Principe de précaution, mieux vaut que le visiteur soit informé que l’on ne photographie pas à l’intérieur du musée Hergé, à l’exception des halls et coursives qui donnent une réelle impression de lumière et d’espace. Des caméras de surveillance veillent au grain. Les « requins », pas celui de ce cher Tryphon, protègent leurs… dents ! Un restaurant-cafétéria où, du plafond, court une bande sinusoïdale imprimée de grandes vignettes extraites des aventures de Tintin et Milou et une boutique de souvenirs complètent agréablement la visite.

Dans cette dernière, véritable caverne d’Ali Baba pour Tintinophile exigeant, on trouve tout, absolument tout concernant Hergé et ses créations, en tissu, en papier, en verre, en film, en résine, à plat, en relief, en noir et blanc, en couleurs, à lire ou à entendre, à voir ou à toucher, à déguster quoi… A l’exception, toutefois, « Tonnerre de Brest, mille millions de sabords ! », du livre Hergé paru dans la collection « Qui suis-je ? » chez Pardès de l’ami Francis Bergeron. Mais est-ce pour nous étonner ?

A l’issue de ces deux grosses heures de visite, sans compter le temps mis à flâner à la cafétéria et à la boutique, qu’il nous soit permis d’émettre une petite critique : il n’y a pas assez de bornes interactives pour les enfants, surtout pour les petits qui, n’ayant pas grand-chose à faire des coupures de presse ou des lettres jaunies relatant la vie de M. Georges Remy, risquent de trouver le temps long.

Mais, pour la connaissance de l’univers d’Hergé, cette visite apparaît comme étant incontournable.

Un bon objectif à atteindre au cours d’une balade chez nos cousins d’Outre-Quiévrain.

(1) Y compris Tintin chez les Soviets, excepté Tintin et l’alph-art.

 

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