Par Alain Sanders
Il paraît que Hollande a choisi, pour son Panthéon belphégorien, deux résistantes de 1944 au motif qu’il n’y a pas de figures féminines suffisamment « représentatives » et « consensuelles » à distinguer en 1914. Vraiment ? Nous pourrions lui en signaler quelques dizaines, pourtant. Un exemple ? Sœur Julie, protectrice des blessés et honneur des petites cornettes.
Gerbéviller, Meurthe-et-Moselle, sur la Mortagne. En 1914, c’est 475 feux, près de 7 000 habitants. Le 29 août, vers cinq heures de l’après-midi, les Allemands se présentent. L’arme à la bretelle. La veille, ils ont pilonné la ville, ne laissant pierre sur pierre. Pourtant, à l’entrée du pont, une soixantaine de chasseurs à pied tiennent la position. Ils continueront de le faire – avant d’être laminés – encore des heures face au général Clauss et au 69e d’infanterie bavaroise.
Et le « nettoyage » va commencer. Rue par rue. Maison par maison. Pièce par pièce. Cave par cave. Une centaine de victimes de plus. Que des civils. Bientôt, les envahisseurs sont devant l’hôpital. La supérieure en est Sœur Julie. De l’ordre de Saint-Charles de Nancy. Le 23 août, en plein bombardement, elle a refusé de quitter son poste.
Sœur Julie ? De son nom profane Amélie Rigard. La soixantaine. Plus portée au travail de terrain et à la charité (que saint Paul met au-dessus de toutes les vertus) qu’au mysticisme. Elle se porte devant l’officier allemand :
— Ne touchez pas à ces hommes, ce sont des blessés.
L’Allemand la bouscule. Revolver au poing, il va de lit en lit, jette les draps au sol, examine rudement pansements et bandages. Sans un mot, il ressortira. Bredouille.
Du 28 août au 13 septembre, les Français ont reconquis le terrain. Et Sœur Julie accueille et soigne alors d’autres blessés. Des Bavarois. Et puis, la ville étant en pleine anarchie, elle prend les choses en main. Elle organise, selon une rigueur toute militaire, les religieuses sous ses ordres (Mmes Collet, Rickler, Gartène, Maillard, Rémy). L’hôpital compte alors près de 1 000 blessés. Elle réussit à assurer non seulement leur subsistance, mais celle aussi des soldats de passage. Le préfet de Meurthe-et-Moselle viendra personnellement l’investir des pouvoirs de maire. Le général de Castelnau lui rendra hommage en la portant à l’ordre du jour de la 2e Armée. Et elle sera décorée de la Légion d’honneur. « Mais qu’est-ce que j’ai fait pour qu’on s’occupe ainsi de moi ? », demandera-t-elle.
Un hommage va pourtant l’émouvoir entre tous. Un jour, un escadron de chasseurs passe par Gerbéviller. Le capitaine envoie son ordonnance demander à Sœur Julie de se présenter. Elle vient.
— Ma Sœur, lui dit le capitaine, je vous demande une faveur : permettez-moi de faire défiler mes hommes devant vous.
Avant qu’elle ait pu répondre, il commande le garde-à-vous et : « Mes amis, vous vous souvenez du 25 août ? Eh bien, dans le village évacué, au milieu des incendies, sous les obus et les balles, même après le départ de l’héroïque section qui a tenu si longtemps à un contre dix, une femme est restée, relevant les blessés, se prodiguant à tous. La voici. Nous allons avoir l’honneur de défiler devant elle. Elle le permet. Vers la gauche… Pour défiler ! »