Comment dresser un portrait juste d’André Le Nôtre ? Plus que « jardinier », il a été paysagiste, architecte, hydraulicien, ingénieur, artiste, haut fonctionnaire. Patricia Bouchenot-Déchin, qui a épluché les archives, en dresse un portrait complet et novateur dans son livre André Le Nôtre (Fayard, avril 2013, 660 p., 27 €). Cette complexité fut retracée, en octobre 2013, par l’exposition dont elle était commissaire, avec Georges Farath et Beatrix Saule, conservateur général et directrice du musée national du château de Versailles.
Ce portrait tempère celui de « l’homme heureux » présenté par la littérature et du « bonhomme le Nôtre » retenu par la légende colportée par son ennemi, l’architecte Jules-Hardouin Mansart. « André le Nôtre, assène Patricia Bouchenot-Déchin, a dû se battre toute sa vie ! » L’homme a travaillé dur et longtemps. Deux ans avant sa mort à 87 ans, en septembre 1700, il réalisait encore des chantiers !
Une naissance aux Tuileries
Quand il naît le 12 mars 1613 aux Tuileries, à Paris, André Le Nôtre est imprégné du style royal. Son grand-père jardinier du roi, avait réussi à se faire élire « juré », c’est-à-dire expert, fonction aussi prisée que rare. Une compétence et charge transmises, comme c’est la règle, à son fils Jean, le père d’André, jardinier aux Tuileries et concepteur de jardins pour des particuliers fortunés. Soucieux de l’avenir de son fils, Jean l’envoie apprendre le dessin et la peinture dans l’atelier de Simon Vouet. Cet atelier, dit Patricia Bouchenot-Déchin, « c’est une machine à succès. Ceux qui en sortent sont promis à la réussite, comme le peintre Charles Le Brun ».
Un homme d’ambitions
En 1635, André Le Nôtre devient premier jardinier de Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII. « Huit ans plus tard, lorsque Louis XIII meurt, il est déjà connu et possède tout un réseau de commanditaires prestigieux », explique Patricia Bouchenot-Déchin. De 1635 à 1637, Le Nôtre a dessiné le premier grand jardin qui porte sa marque, celui du château de Wattignies, près de Lille. Mais celui qui succède à son père comme jardinier du roi aux Tuileries a d’autres ambitions. En 1657, il achète la charge de contrôleur général des bâtiments, des jardins, arts et manufactures du roi. « Ce n’est pas une fonction honorifique. Cela lui donne un rôle très important qu’il exerce pour Colbert puis Louvois, avec lesquels il s’entendra bien. »
Blessures personnelles
De 1656 à 1661, André Le Nôtre aménage les jardins de Vaux-le-Vicomte pour Nicolas Fouquet. Dès l’arrestation de celui-ci, il arrive à Versailles où les travaux d’extension des jardins dureront jusqu’en 1687. Pendant ces années, Le Nôtre en aménagera bien d’autres. Cette succes story fait parfois oublier ses blessures personnelles – marié à Françoise Langlois, Le Nôtre voit mourir en bas âge ses trois enfants – ou son immense passion pour les œuvres d’art qu’il collectionnera sa vie durant. Il léguera ses plus belles pièces à Louis XIV à qui le liait une étonnante relation. Béatrix Saule évoque « une vraie complicité » qu’explique peut-être la différence d’âge – celle d’un père et d’un fils – entre les deux hommes.