Grogne des correcteurs précaires, contre-manifestation des petits éditeurs, tensions avec la Russie, l’invité d’honneur de la manifestation… Le 42e Salon du livre de Paris promettait une houleuse inauguration. Des pièges que le couple présidentiel et la ministre de la Culture ont déminés dans une ambiance bon enfant. (…)
Habermas, Gide, Faye, Guez et un essai sur le vagin
Petits canapés sur le bord des tables nappées, boissons alcoolisées, livres colorés… Tout a été fait pour ravir et attirer les yeux du couple Macron. Les éditeurs avaient tous prévu leur cadeau au président. Chez Gallimard, où avait été dressé un buffet russe de piroshki fourrés à la viande, au chou, au riz et au thon accompagnés d’un petit jardin de pensées comestibles, on a préparé deux textes inédits et une biographie de Jürgen Habermas. Sur le stand de l’École des loisirs, aux couleurs de Claude Ponti et Marie-Aude Murail, on opte plutôt pour Pourquoi y a-t-il des inégalités entre les hommes et les femmes, de Soledad Bravi. Car «on sait que Brigitte Macron est sensible à ces questions», précise Nathalie Brisac, responsable de la communication. Bonne pioche: l’épouse du président repartira en effet avec un exemplaire. Plus loin, les Éditions Livre de Poche proposent une ancienne édition de La Symphonie pastorale d’André Gide, Petit Pays de Gaël Faye, Les Révolutions de Jacques Koskas d’Olivier Guez ainsi qu’Une mémoire infaillible de Sébastien Martinez. «Un livre donnant des techniques pour développer sa mémorisation», explique Sylvie Navellou, directrice marketing et communication, avant d’ajouter: «c’est un clin d’œil au président». Chez Actes Sud, maison chère au cœur de Françoise Nyssen, on veut glisser dans les mains du président La poésie à l’épreuve de soi de Sophie Nauleau. Propos de l’essai? «La poésie change bel et bien la vie», explique le quatrième de couverture en paraphrasant Rimbaud.
L’offre est pléthorique, éclectique et romantique. À l’image de ses libraires et de son public. Entre les stands, dans les allées bondées du Salon, on s’échange coup d’œil et coups de coude au passage des VIP. «Cette année est particulièrement placée sous le signe de la convivialité, estime l’auteur Grishka Bogdanov qui s’est glissé dans le cortège. Il y a plus de réunion que de séparation.» Les collaborateurs approuvent: «le bain de foule est chaleureux», estime l’un d’eux. Malgré un service de sécurité très présent, qui repousse encore et encore le public, Emmanuel Macron attire les badauds.
Un discours devant l’Académie française mardi
«C’est comme une chorégraphie, on fait un pas en avant, deux pas en arrière», s’amuse Brigitte, éditrice, tandis qu’elle se voit valser hors de la piste la danse. «On recule», «on avance», «non, sur le côté», «on se pousse», crie-t-on à droite à gauche. Le parcours semble désorganisé, alors qu’il suit une trajectoire qui ne doit rien au hasard. Premier arrêt avec des enfants du Labo des histoires, dans un petit igloo de bois, puis entre les stands. Comme des voyageurs à la mer, le public tangue alors de gauche à droite, noyé dans un océan de livres, tendant les bras, étirant les mains scotchées au smartphone pour tenter de suivre le bateau présidentiel. (…)
Emmanuel Macron, à propos de la Russie
(…) «J’ai décidé, compte tenu du contexte international, de ne pas me rendre sur le salon de la Russie en solidarité avec nos amis britanniques», explique-t-il en affirmant son intention de «poursuivre le dialogue avec les intellectuels, avec les auteurs russes, la société civile russe, avec toutes celles et ceux qui portent la force de ce peuple, son intelligence et qui d’ailleurs parfois s’opposent avec beaucoup de courage contre tous les excès du régime en place». Voilà Vladimir Poutine prévenu: ce soir, du moins, Emmanuel Macron lui préfère Tolstoï et Dostoïevski.
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