« La vie est faite pour relire des Pléiade dans des maisons de campagne en hiver », voici concentré en une citation le ton du dernier ouvrage d’Eric Neuhoff. Lecture des plus agréables dans laquelle Neuhoff confesse sans aucune contrition ses penchants pour le tweed, les cabriolets anglais, les cabines téléphoniques et les livres non coupés. Comment ne pas le suivre ? Y compris lorsqu’il joue « Bernard Blier contre François Ozon ». Ce petit essai nous a enthousiasmés, toute critique relèvera donc du bémol. Nous ne suivons pas Neuhoff dans sa passion immodérée du champagne, à laquelle il consacre un entier chapitre. Qu’il nous soit permis de juger l’engouement suscité par ce breuvage surfait, lui préférant amplement des blancs plus tranquilles, moins tapageurs, avec lesquels il est plus facile de converser. Neuhoff ne conçoit pas que l’on puisse négliger le champagne sans être un affreux lecteur de Marguerite Duras, sur ce point donnons-lui tort. Parenthèse refermée.
Un Mérovingien chez Lipp
Neuhoff est un Mérovingien comme il l’écrit lui-même, « il dure, (…) il évite de tomber dans tous les panneaux ». Il n’est cependant pas de l’espèce réactionnaire. Car les débats politiques, le sérieux de la chose publique lui sont totalement étrangers. En cette période de ramdam électoral où chaque honnête contribuable se sent l’âme d’un commentateur politique, voilà qui est singulier et rafraîchissant. C’est aussi qu’il y a des combats qui lui semblent nettement prioritaires : comme la sauvegarde des derniers flippers dans les cafés ou celle du « cinéma en meulière, avec poutres apparentes » contre les contorsions nombrilistes des scénaristes névrosés, entre autres… Et puis si les écolos se bousculent pour défendre les espèces protégées, Neuhoff s’étonne d’être le seul à défendre le gaillard français qui existait encore en nombre dans sa jeunesse et les petites pépées qui faisaient partie de notre patrimoine. Désormais « les parents s’habillent comme leurs enfants » et les rues de Paris sont envahies par des « femmes aux lèvres comme des Zodiac ». Triste époque…
Snob ou homme de tradition
Neuhoff part à la chasse aux nouvelles idoles post-modernes. L’hygiénisme stupide qui fait remplacer les clopes par d’affreux tuyaux de plastiques, branchés sur batterie. La multiplication des zombies rivés à leur téléphone portable et ne sachant plus saisir la vie sans un écran. La perte du sens du beau et du bon qui porte l’art contemporain et la cuisine moléculaire sur les autels. Les khmers roses qui ont patiemment démoli le monument historique qu’était l’amour à la française. Finalement, on sent assez peu de snobisme chez Neuhoff, du moins selon le sens commun, simplement la volonté de conserver et de perpétuer les quotidiennes fidélités qui comptent dans une existence, ces détails qui font la tenue de toute une vie. Eric Neuhoff n’est pas un snob, mais un authentique manant. Espérons qu’il fasse école.
Deux ou trois leçons de snobisme, Eric Neuhoff, éditions Ecriture, 192 pages, 18 euros.
Pierre Saint-Servant