La Première Guerre mondiale en 2.700 films et 600 heures / Un trésor d’archives à consulter gratuitement.

 

Par Alain Lorfèvre

L’Association des cinémathèques européennes (ACE) a mis en ligne, mi-février, quelque 2 700 films d’époque traitant de la Première Guerre mondiale, issus des collections de vingt-et-un fonds d’archives. Cette démarche ambitieuse a été menée sous la présidence de Nicola Mazzanti, le directeur (italien) de la Cinémathèque royale de Belgique.

Accessibles via le site de l’European Film Gateway (EFG), les quelque 650 heures de pellicules numérisées (et, pour certaines d’entre elles, restaurées) sont consultables de quatre manières différentes : par origine, par année, par thématique ou sous forme d’une “exposition virtuelle” agrémentée de textes didactiques et de photos ou d’illustrations – un riche parcours visuel de la Grande Guerre.

Au-delà de la mise à disposition à tous d’un vaste pan du patrimoine cinématographique, cette initiative présente d’autres intérêts, autant pour les chercheurs, les passionnés d’histoire et les cinéphiles que pour le grand public.

1. Une vision transversale. “Notre valeur ajoutée est d’offrir une vision européenne et transversale de la Première Guerre”, explique Nicola Mazzanti. “Les cinémathèques ont l’habitude de travailler ensemble depuis longtemps. C’est même une nécessité pour nous, car il arrive souvent qu’un film de telle nationalité se trouve dans une cinémathèque d’un autre pays.” La cinémathèque belge a ainsi exhumé un film d’actualité sur des blessés de guerre français. “Le site permet de consulter les films en suivant des thèmes prédéfinis, précise M. Mazzanti. Par exemple, les femmes, les blessés, le front de l’Est, la guerre des Balkans, la guerre blindée ou même la situation des animaux…”

 2. Des regards croisés. “L’autre principal intérêt pour le public ou les chercheurs est de découvrir, pour la première fois, le même sujet vu des deux camps ou même des pays neutres”, note Nicola Mazzanti. “On est à tous les emplacements possibles et imaginables”, résume Muriel Andrin, docteur en cinéma (ELICIT) à l’Université libre de Bruxelles, qui donne le cours de “Sources de l’époque contemporaine”. On peut par exemple voir la bataille de l’Yser du point de vue britannique, belge ou allemand.

3. Un contenu instructif. Les films présentés sur l’EFG débordent le cadre des actualités et des années de guerre : plusieurs œuvres de fiction sont disponibles. Quelques drames rappellent que le feu couvait depuis le début du siècle. Le courant pacifiste n’était pas inactif mais céda vite le pas aux œuvres de propagande. Il est intéressant de confronter celles-ci d’un pays à l’autre. Pour Muriel Andrin, même les films de fiction sont instructifs : “Certaines scènes donnent une série d’indications sur la manière dont on vivait. Et, culturellement, en disent parfois beaucoup des pays où ils ont été tournés.”

4. Innovations esthétiques et techniques. La grande diversité narrative et esthétique des œuvres de fiction rappelle que le cinéma n’était pas encore soumis à la domination commerciale d’Hollywood. “Jusqu’à la Première Guerre mondiale, c’est l’Europe, et notamment la France et l’Italie, qui domine le cinéma mondial, explique Nicola Mazzanti. Mais la guerre va détruire le cinéma européen. D’une part à cause des dommages dans certains pays du front, mais aussi par pénurie de nitrate avec lequel on fabriquait les pellicules, mais qui servait aussi à la fabrication d’explosifs.”

Certains films mettent en évidence la primauté technique des Européens à l’époque. “Pour ‘Maudite soit la guerre’ (lire ci-dessous), Alfred Machin exploite des possibilités techniques assez avancées, rélève Muriel Andrin. Il embarque, par exemple, une caméra dans des avions. L’Américain David W. Griffith fera d’ailleurs appel à lui en 1918 pour son film sur la guerre, ‘Hearths of the World’, preuve que Machin était à la pointe de son époque.”

5. Naissance du reportage de guerre et du documentaire. “Esthétiquement, on assiste à la naissance du documentaire, souligne Muriel Nandrin. On est sept, huit ans avant ‘Nanook l’Esquimau’ de Robert Flaherty, communément considéré comme le premier documentaire. Mais on constate à la vision des films d’actualités de la Première Guerre que le langage documentaire est déjà très élaboré, notamment en Angleterre avec l’école de Brighton qui fixe déjà des codes et développe une approche didactique du cinéma.”

Lu sur La libre Belgique

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