« La mode, c’est ce qui se démode », affirmait, non sans raison, Jean Cocteau. Canal+ a-t-il donc cessé d’être à la mode, en admettant toutefois qu’il l’ait été un jour. La preuve en est l’interminable agonie du « Grand Journal » – son émission phare – que Vincent Bolloré – dernier patron en date de la chaîne cryptée – a décidé de débrancher, histoire, on imagine, de mettre fin, une bonne fois pour toutes, à ses souffrances.
Canal+, chaîne de l’éternelle branchitude, mais dont on oublie trop souvent qu’elle doit son succès initial au football et aux films pornographiques ; chaîne pour routiers, dira-t-on, ce qui n’est d’ailleurs pas très gentil vis-à-vis de cette honorable profession.
Le « Grand Journal », donc. Lointain descendant de « Nulle part ailleurs », émission dont on disait qu’elle était le fleuron de ce fameux « esprit Canal ».
« Impertinence » et humour « décalé »… « Rebellocrates » et « mutins de Panurge », surtout, pour reprendre l’heureuse expression du défunt Philippe Muray.
Plus sérieusement, et même des pionniers tels qu’Antoine de Caunes et Alain Chabat ont reconnu que « Nulle part ailleurs » était un strict décalque du Saturday Night Live américain ; comme quoi, en matière d’innovation télévisuelle, n’est pas Jean-Christophe Averty qui veut.
Pareillement, « Les Guignols de l’info », eux aussi débranchés par le même Vincent Bolloré, étaient depuis longtemps en voie de « Bébêteshowisation ». Il est vrai qu’entre-temps, Laurent Gerra est passé par là, démonétisant, en matière de talent d’imitation et d’analyse politique, adversaires et concurrents. Et puis, l’avantage de Laurent Gerra, c’est que, n’ayant jamais été à la mode, il ne saurait se démoder.
À l’instar de la politique qui, à l’approche de l’élection présidentielle, est en train – montée des populismes planétaires aidant – de nous faire passer d’un cycle à l’autre, c’est une nouvelle page du livre télévisuel français qui se tourne.
Comme si les téléspectateurs boudaient le clinquant symbolisant les décennies passées, de BHL à Nicolas Sarkozy, de Jack Lang à Thierry Ardisson, ayant depuis quelque temps tendance à plébisciter le cosy sympathique d’Anne-Sophie Lapix et son « C à vous ».
Comme si les Français en avaient plus qu’assez de toute cette arrogance friquée, incarnée par des histrions donneurs de leçons, bafouillant le vrai, le beau et le bien et qui, de plus, ont depuis des années l’outrecuidance de leur dire pour qui il faudrait ou pas voter.
Les temps changent, comme le chantait jadis un célèbre prix Nobel de littérature. Si Le Canard est toujours enchaîné, le Canal, lui, se trouve aujourd’hui singulièrement déplumé.
Fin d’une époque, donc ; fin d’un monde, surtout.
Nicolas Gauthier – Boulevard Voltaire