Les femmes ont été actrices ou victimes de la Révolution, elles ont parfois été les deux. « J’ai vengé bien d’innocentes victimes, j’ai prévenu bien d’autres désastres. Le peuple, un jour désabusé, se réjouira d’être délivré d’un tyran », écrit Charlotte Corday à son père le 16 juillet 1793, veille de la guillotine. La justice a été rondement rendue puisque l’assassinat de Marat remonte au 13 juillet. Commis par une femme, il marque les esprits. Des dessins d’époque, anonymes et plus ou moins maladroits, racontent l’histoire : Charlotte Corday se présente chez Marat, elle le tue, elle est terrassée et maintenue après l’assassinat, arrêtée… Quantité d’images circulent, faites d’après nature lors du procès (par Louis Boilly ou Jean-François Garneray par exemple) ou d’après témoignage. Jules Renouvier a raison de dire que Charlotte « excita beaucoup la curiosité » (Histoire de l’art pendant la Révolution, 1863, p. 455).
Le peintre Jean-Jacques Hauer fut le seul qui put l’approcher dans sa cellule pour la dessiner, d’où son importance dans l’iconographie de Charlotte Corday. Son tableau La mort de Marat l’y fait figurer, tandis que le tableau de David (peint dès 1793) non : il n’était pas question pour l’artiste d’y représenter la meurtrière ! Pour les révolutionnaires, Corday était « hommasse », « virago, plus charnue que fraîche, sans grâce, malpropre » – ce que contredisent les dessins et les témoignages, mais la rhétorique est dans l’air du temps, écho du mépris de la femme qui irrigue la pensée des Lumières, comme l’ont montré les travaux du Pr Xavier Martin (cf. chez DMM, L’homme des droits de l’homme et sa compagne, 2001 ; Naissance du sous-homme au cœur des Lumières, 2014). Une des actrices retenues pour jouer Corday dans une des innombrables pièces de théâtre qui racontèrent l’événement, « la citoyenne Cléricourt la Jeune », a l’honneur d’un portrait anonyme mais d’un grand charme.
La même année de 1793, sans avoir assassiné directement personne, mais dans une logique de méfiance à l’égard des femmes en général, à partir du procès et de la mort de Marie-Antoinette, d’autres femmes révolutionnaires passent à la guillotine : Olympe de Gouges et Manon Roland, par exemple. Manon Roland, « la Reine Coco », a eu quelques beaux portraits, celui qui la représente avec un bonnet de Girondin et des roses au corsage est spécialement beau. Selon Renouvier, Corday et Madame Roland sont les deux plus séduisantes femmes de l’époque. L’iconographie d’Olympe de Gouges est beaucoup moins riche. Quant à Théroigne de Méricourt, « la Belle Liégeoise », autre Girondine – c’est elle qui réclamait des « Amazones françaises » – elle fut prise à partie par des Tricoteuses qui lui administrèrent la « fessée républicaine ». Est-ce cet événement qui fit chavirer sa raison ? Est-ce la peur de la guillotine ? Est-ce la syphilis ? Théroigne de Méricourt mourra en 1817 à la Salpétrière après 23 ans d’internement.
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les peintres trouvent dans la Révolution des sujets, en particulier avec les supplices de femmes : on retrouve Madame Roland à l’échafaud (anonyme), la princesse de Lamballe devant la prison de la Force (étude de Faivre), les noyades de Nantes (esquisse d’Aubert), le Dévouement héroïque de Mlle de Sombreuil (Puvis de Chavannes), Madame Lavergne et son mari sur la charrette des condamnés (Achille Devéria)…
Face à ces destins individuels de femmes de caractère, les groupes de femmes apparaissent dans les gravures relatant les événements de la Révolution, les « dames de la Halle », les dons des femmes à l’Assemblée nationale. Deux intéressantes gravures sur bois à retenir : Femmes en bataillon militaire et Nouvelle armée française pour imiter les Polonaises. A ces femmes soldats et aux Tricoteuses s’opposent sous le Directoire les Merveilleuses dont la tenue est plus légère que ne le voudrait la morale républicaine. A l’occasion de « bals de victimes » elles se coiffent « à la guillotinée » (nuque rasée), portent un fil rouge autour du cou pour indiquer le passage de la guillotine. Une provocante extravagance, digne de ces amazones contre-révolutionnaires.
Amazones de la Révolution, des femmes dans la tourmente de 1789. Jusqu’au 19 février 2017, musée Lambinet (Versailles).
Samuel Martin – Présent