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Gaëlle Chamarande
Il était une fois un tronc d’arbre qui ressemblait à une trompe d’éléphant. Un tronc d’arbre en forme de trompe d’éléphant.
Au milieu du tronc, il y avait un creux plus profond que les autres : un creux en forme d’œil. On distinguait presque l’iris, les cils. De légères striures horizontales parsemaient le tronc.
Son copain derrière, ressemblait bien à un tronc, un tronc frêle, moins imposant, mais un tronc quand même. Son autre ami, le plus proche, avait la peau râpeuse d’une moquette usée, mais ressemblait bien à un tronc.
Le tronc-éléphant était régulièrement dérangé par les éléphants réels qui passaient et qui l’enlaçaient amoureusement de leur trompe, l’aspergeant d’eau, se frottant à lui. Ou encore le prenant pour un ennemi potentiel et lui donnant des coups de pied. L’œil les intriguait : « Est-ce un œil de sphinx ou un œil de tigre ? » disait l’un, « Et pourquoi pas un œil de cyclope ? » se demandait l’autre.
C’était un œil sage en tous cas, un œil qui avait l’air d’avoir tout vu, tout vécu. Le reflet du soleil se posait toujours délicatement sur le tronc, mettant en relief toutes ses rides.
Ce tronc était aussi vieux qu’un éléphant, aussi vieux que le monde.
Mais il souffrait secrètement. Il aurait aimé être le fragile roseau entouré de flamands roses qui vivait de l’autre côté de la colline. Il aurait souhaité avoir l’élégance, la flexibilité du roseau. Il voulait plier, se laisser porter par le vent, se balancer au gré de ses humeurs. Au lieu d’être planté là, solide, impérial et massif. Profondément enraciné, terrestre et non aérien.
D’ailleurs, on ne voyait jamais que son tronc. Peu de curieux s’aventuraient à lever les yeux vers sa cime tant il était impressionnant, peu se hasardaient à regarder ses grosses racines enchevêtrées tant elles ressemblaient à de gros serpents.
Non, on regardait son tronc dans les yeux. Dans cet œil fixe.
On en oubliait qu’il était un arbre. Ce tronc pouvait être : une trompe d’éléphant avec un œil, un gros cylindre avec un œil, un bras avec un œil.
Mais, une chose était sûre : ce tronc n’était pas comme les autres.
A l’abri des siens le tronc-éléphant se consolait parfois en se disant que s’il n’était pas un roseau, il était, et ça n’était déjà pas si mal : un trompe l’œil.