Il a souvent été observé, sous notre plume comme sous celle d’autres commentateurs ou exégètes, le style à nul autre pareil d’Alain de Benoist, qui est aux lettres ce que Floch ou Hergé étaient au 9e art.
L’épure de la phrase (sans que cela ne confine le moins du monde à la sécheresse du verbe) conjuguée à la limpidité rhétorique en font un représentant incomparable de la ligne claire dans la république des lettres.
Ceci est d’autant plus remarquable avec le dernier opus du directeur de la revue Nouvelle École et éditorialiste à Élémentsconsacré à l’écriture runique et aux origines de l’écriture.
Le sujet, apanage des spécialistes de linguistique, de philologie ou d’archéologie, apparaîtrait rapidement comme austère et rébarbatif s’il n’était littéralement conté par Alain de Benoist, érudit souriant, pédagogue hors pair, savant éclairé sans être pédant. C’est tout l’art de l’auteur que de donner à découvrir au néophyte – qui acquiert, pour l’occasion, un formidable surcroît de connaissances – l’un des systèmes scripturaires les plus énigmatiques, sinon les plus hermétiques au monde.
« Beaucoup d’inscriptions se laissent en effet mal déchiffrer, et les déchiffrements font rarement l’unanimité », explique Alain de Benoist.
Mais quid de l’écriture runique ? Apparue à peu près au début de notre ère et en usage courant jusque vers le XVe siècle, l’écriture runique, autrement dénommée fuþark (« futhark ») en raison de l’ordre de son alphabet (réparti en trois séquences de huit signes que l’on appelle des ættir), est un « système d’écriture qui a servi à transcrire diverses langues germaniques antérieurement à l’alphabet latin, puis concurremment avec lui ». Définition nécessaire mais amplement insuffisante pour quiconque souhaiterait procéder à une datation précise de cette singulière graphie.
À vrai dire, les runes et le système linguistique dont elles dépendraient sont entourés d’un halo de mystère rendant leur origine à peu près non identifiable en l’état actuel des travaux scientifiques.
« Différentes thèses ont été émises sur l’époque à laquelle l’écriture runique a été créée et sur ceux qui en auraient été les inventeurs. La plupart d’entre elles se contredisent mutuellement ou sont incompatibles entre elles », souligne Alain de Benoist qui observe, néanmoins, que « les principales hypothèses émises jusqu’à présent sur l’origine de l’écriture runique ont toutes un point commun : elles s’appuient sur le seul argument chronologique. […] Dans cette perspective, les signes runiques dériveraient d’un même système symbolique européen en usage dès la proto-histoire d’où seraient aussi dérivés les alphabets méditerranéens. »
Jusqu’à plus ample informé, l’hypothèse la plus probable serait que l’usage des runes en tant que signes ou symboles aurait précédé son usage en tant qu’écriture. La runologie (représentée par des auteurs majeurs comme Lucien Musset, François-Xavier Dillmann, Alain Marez, Raymond Ian Page ou Wilhelm Heizmann) apparaît alors comme une discipline où le sérieux des thèses avancées l’a régulièrement disputé à l’extravagance d’opinions qui eurent vite fait de l’enterrer si les tenants des premières n’y avaient pris garde. En l’occurrence, les débats ont très tôt porté sur la signification magico-religieuse (les deux dimensions étant proprement inséparables dans la plupart des civilisations d’origine indo-européennes) des runes, dont le mot même évoque le secret et le mystère, « ce qui semble confirmer que l’on a d’abord fait des runes un usage magique ou réservé à quelques-uns », ainsi qu’en a attesté l’historien romain Tacite.
On peut aussi lire dans l’Edda poétique (poèmes en vieux norrois) que ces runes préexistaient aux hommes, ayant été découvertes par le dieu Óðinn.
Agrémenté de photographies d’inscriptions runiques aussi méconnues qu’inédites, cet ouvrage se lit comme un fantastique voyage initiatique au sein de mondes oubliés où les dieux côtoient les hommes dans une quête insatiable des vérités primordiales. Un régal !
Aristide Leucate – Boulevard Voltaire