Luca Cambiaso, maître de l’école génoise


En 1528, la ville de Gênes rompt son lien avec François Ier et se place sous l’autorité de Charles Quint. La « République génoise » est gouvernée désormais par une oligarchie de douze membres. Un actif mécénat s’ensuit : l’élite rivalise d’embellissements et communique cette soif aux classes bourgeoises. Le terrain est tout préparé pour la carrière de Luca Cambiaso, alors enfant (il est né en 1527) et fils d’un peintre reconnu, Giovanni Cambiaso.

Cependant les mécènes ne s’adressent pas qu’aux peintres de la République : Les plus fortunés font évidemment appel aux artistes romains ou à ceux qui, passés par Rome, ont acquis la manière moderne, se sont mis à l’école de Raphaël et de Michel-Ange. Viennent ainsi œuvrer au Palazzo del Principe : Gerolamo da Treviso, Beccafumi, Perino del Vaga. Ce dernier, de l’atelier de Raphaël, tout comme Jules Romain à qui un évêque génois avait commandé quelques années auparavant une Lapidation de saint Etienne pour une des églises de la ville.

 

De Cambiaso père, reste peu d’œuvres. Les fresques d’une villa, des dessins qui se comptent à l’unité : une Galatée et une frise de Tritons et de Néréides. Science du lavis, habileté à développer les corps dans l’espace : Giovanni avait du talent et avait assimilé le passage des artistes étrangers. Ces caractéristiques se retrouveront chez son fils.

Celui-ci a considérablement dessiné. En quantité, d’abord : un biographe prétendra qu’il dessinait tant que sa femme et leur servante utilisaient ses feuilles pour allumer le feu, et qu’on doit à l’un de ses élèves d’en avoir sauvé un certain nombre de l’âtre vorace. En qualité, également, une qualité que la critique moderne a redéfinie, avec la coupe claire que cela impose : des 188 dessins autrefois recensés au Louvre sous son nom, elle n’en reconnaît que 26 de sa main. Le surplus s’explique par des copies d’élèves d’après le maître (exercice obligé, avec le dessin d’après l’antique, en Italie dans la seconde moitié du XVIe siècle), par des dessins d’élèves dans le style du maître, ou par des copies postérieures, car Luca Cambiaso a influencé l’école génoise jusque vers 1620.

L’influence de Michel-Ange se mesure dans un dessin de jeunesse, un Christ triomphant à l’équilibre mal assuré, un champion de la gonflette plus qu’un athlète et qu’un Christ : seul Michel Ange pouvait prétendre à fondre cet alliage. Le goût de Cambiaso avait encore à être formé. Deux architectes y ont concouru : Alessi et Castello, le second surtout, qui employa Cambiaso dans de nombreux chantiers génois et alentour (églises, palais, villas). Les silhouettes s’affinent et le trait gagne en rigueur.

Le meilleur trait de Cambiaso est une incision de graveur, une griffure sur le papier avec ses tensions et ses légèretés qui ne sont pas là en tant que paraphes mais indices graphiques de la forme – de même qu’une mélodie demande pour être expressive une intensité variable. (Parmi les rares équivalences entre les arts, existe cette similitude entre la ligne mélodique et la ligne graphique. Et rien n’explique mieux l’aberration d’un trait en fil de fer que son équivalent, difficile à envisager en dehors de musiciens dénués de tout sens musical, d’une mélodie où toutes les notes sortiraient avec la même intensité.) Saint Marc avec le lion, la Sibylle assise (illustration) constituent de bons exemples du talent de Cambiaso. La pose de la Sybille est d’une grande clarté, comme celle de l’Homme agenouillé, très ramassée.

A ce trait abstrait, Cambiaso substitue parfois une manière plus narrative, où il n’est pas moins bon (La fuite en Egypte).

Son trait parfois ne synthétise pas mais multiplie les décrochements, afin de rendre plus sensible les trois dimensions. Il en arrive à des dessins presque chinois (Bacchus ivre porté par deux hommes). Plus épuré, plus complexe aussi par des raccourcis justes et heureusement retenus en deçà de la bizarrerie, le dessin représentant Enée fuyant Troie avec sa famille est un chef-d’œuvre. Le trait, toujours incisif, prend parfois un tour anguleux qui, chez les suiveurs, deviendra caricatural et faux comme un dessin de manga (anonyme : Mercure s’apprêtant à trancher la tête d’Argus).

Les dessins de la maturité sont rares. Le trait est toujours subtil, mais adouci : Six angelots volant, esquisse d’un tableau pour l’Escurial (1581 – Cambiaso travailla pour Philippe II avant de se rendre à Madrid, où il résida deux ans et mourut en 1585).

Auparavant, à partir de 1560, l’utilisation du lavis avait contribué à adoucir sa manière. Il ne s’agissait pas d’un agrément, mais d’un apport réel, qui humanisait ce que le trait réel pouvait avoir de féroce : c’était le baume sur la griffure.

 

Samuel – Présent

 

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