Les pâtes molles à croûte fleurie dont l’affinage s’achève entre fin septembre et fin octobre sont issues du lait des pâturages estivaux, dont l’herbe est alors la plus grasse. C’est maintenant qu’il faut les déguster.
Le fromage étant de l’herbe intelligemment transformée par la vache, la chèvre ou la brebis, il faut toujours penser au temps qu’il a fait le mois précédent. Plus il fait beau, plus l’herbe est grasse, plus le lait est riche, meilleur est le fromage. Confiné à l’étable et nourri au foin (ou à l’ensilage, du maïs fermenté, infâme) durant l’hiver, le bétail attend le redoux pour retrouver la prairie. Cette année, le printemps ayant été doux et à peine humide, la flore bien développée, le pont-l’évêque se mit à chanter et le saint-nectaire, à danser. Puis vint le bel été. Redoublant de vigueur, la végétation offrit le meilleur d’elle-même et les pâturages de France, de la Savoie à la Normandie en passant par l’Auvergne et le Berry, ont généré des laits chargés des vertus aromatiques de la flore.
Issus des traites d’août et de septembre, les fromages fleurent bon la campagne. Les voici sur l’étal de votre affineur. Pâtes molles à croûte fleurie, les bien nommés : camembert et reblochon ; pâtes molles à croûte lavée : maroilles, livarot, époisses, qui puent de bonheur, sont les fruits d’un herbage parfumé, sans oublier les chèvres du Val de Loire. Les pâtes persillées (roquefort, fourme d’Ambert, bleu d’Auvergne) seront prêtes cet hiver, les pâtes pressées (cantal, laguiole, salers) au printemps 2016, et les pâtes cuites (comté, beaufort), dans dix-huit ou vingt-quatre mois. Il faut laisser du temps au temps, mais les pâtes molles fleuries sont au mieux de leur forme et le resteront plusieurs semaines, le nec plus ultra du fromage de saison, à cueillir dès à présent, en privilégiant les producteurs fermiers, dont le lait provient du troupeau.
Ils sont certes un peu plus chers que les plâtres industriels vendus en grandes surfaces (on ose appeler ça « fromage ») sous des étiquettes trompeuses ou maquillées, du type « Fabriqué en Normandie », mais à budget égal, mieux vaut manger moins souvent du vrai camembert, du vrai saint-nectaire ou du vrai reblochon au lait cru, qu’un « camenbert » au lait pasteurisé. Il suffit d’appliquer la règle du 18/6/3. A savoir, pour un budget de 18 €, trois fois un fromage à 6 € de qualité que six fois un produit à 3 € qui n’est plus du fromage. Idem pour tous les aliments sujets à cette équation. Et les jours sans, on compense avec autre chose, le panel alimentaire français ne manquant pas de solutions. Donc, ne pas dépenser plus mais dépenser mieux, avec la certitude d’avoir perpétué une saine tradition, soutenu une agriculture paysanne en la rétribuant à sa juste valeur, préservé un environnement ou un paysage et dégusté un produit délicieux. Faire du bien à la France en se donnant du plaisir. Un vrai devoir civique…
NORMANDIE
Camembert, le génie du Bocage
Joyau du patrimoine français, fleuron du répertoire normand, le plus imité, galvaudé, frelaté des fromages est aussi celui qui, lorsqu’il est élaboré dans le respect des normes de l’appellation d’origine, gagne son statut de monument gastronomique. Bien entendu, le seul vrai camembert de Normandie est au lait cru, issu d’une flore grasse ruminée par une vache de race normande. C’est donc à la belle saison, jusqu’à octobre, lorsqu’ils reflètent la richesse botanique du Bocage, que l’on déguste les meilleurs camemberts. Période d’affinage idéale : entre six et huit semaines. Les seules marques fiables sont celles des fromageries Réo (et son sublime gaslonde), Graindorge, Domaine de Saint-Loup, Gillot, Val de Sienne, Jort et Moulin de Carel, ces deux dernières du groupe Lactalis. Top du top, le camembert fermier de Patrick Mercier, à Champsecret, dans l’Orne (bio 100 % au lait de vache normande), a retrouvé le goût des fromages authentiques de campagne. A déguster avec un cidre fermier du Cotentin ou du pays d’Auge.
Dans la même catégorie : le pont-l’évêque, le livarot (pâte molle à croûte lavée), le neufchâtel (à condition qu’il soit fait à cœur).
BRIE
Brie, le coulant généreux
Sacré roi des fromages et fromage des rois par Talleyrand, le brie connaît deux versions reconnues en appellation d’origine, celui de Meaux et celui de Melun. Attention aux imitations qui n’indiquent pas la mention AOC ou AOP. Un grand fromage, onctueux et parfumé, quand il est bien affiné. La Brie étant une contrée historiquement champenoise, le champagne blanc de blancs se marie à merveille avec ces pâtes molles à croûte fleurie.
Dans la même catégorie : le coulommiers au lait cru, autre joyau local, lui aussi classé en brie, attend sa reconnaissance en AOC. Ceux des fromageries Bobin et Rouzaire tiennent le haut du pavé.
SAVOIE
Reblochon, le prince des alpages
C’est le seigneur de la Savoie, du verbe « reblocher » qui signifie « traire une deuxième fois ». Autrefois, le produit de la traite allant au propriétaire, le fermier laissait un peu de lait dans le pis (ou bloche) de la vache afin de le retraire, de nuit, pour faire son fromage. Un délice en péril, compte tenu de la réduction de son aire d’appellation, dont les versions fermières subliment les parfums de la flore alpine. A déguster sur un mondeuse frais.
AUVERGNE
Saint-Nectaire, un puy de gourmandise
Toute l’Auvergne dans un fromage. Cette pâte pressée est surtout produite sur le massif du Sancy, là où les pâturages sont les plus riches et les plus variés. Les saint-nectaire laitiers AOC, souvent corrects, sont au lait thermisé ou pasteurisé ; les fermiers, à croûte épaisse, bien meilleurs, sont obligatoirement au lait cru. A servir sur un boudes ou un chanturgue, rouges frais et vifs d’Auvergne.
HAINAUT
Maroilles, un fromage fort du nez
Réputé pour ses parfums persistants et son goût très affirmé, le maroilles est une pâte molle à croûte lavée produit dans l’Avesnois, contrée du Nord. Son affinage demande de huit à dix semaines. Septembre sera donc sa période d’excellence. A déguster avec une bière flamande blonde bien moussue.
Dans le même esprit : le munster alsacien et l’époisses bourguignon.
TOURAINE
Sainte-maure-de-touraine, avec sa paille
De forme conique, le sainte-maure-de-touraine est un chèvre au lait cru en AOC, à ne pas confondre avec le sainte-maure (tout court) qui peut être produit avec du lait pasteurisé. Traversé en son centre par une paille de seigle servant de tuteur afin qu’il ne se brise pas au démoulage (et non pour l’aérer…) ce fromage supporte un affinage très poussé qui lui donne une texture et des arômes incomparables. Version blanc sur pâte mûre : avec un vouvray ou un montlouis secs. Version rouge, pour les chèvres frais : avec un chinon ou un bourgueil.