Le dilemme nominatif qui entoure les nouvelles régions françaises est révélateur de leur difficulté à affirmer leur identité aux yeux de la population. Imaginons que la nouvelle carte régionale eût été dessinée, sans précipitation ni improvisation, avec autant d’intelligence que de courage politique. Les entités ainsi créées, lestées d’une cohérence géographique, économique ou historique, auraient sans doute pu être baptisées sans trop de tourment.
Ce n’est pas précisément ce qui s’est passé. Le caractère largement artificiel du découpage en treize régions, avec quelques accouplements plus ou moins monstrueux, a engendré d’étranges territoires que l’on a les plus grandes peines à nommer.
La seule fusion qui ne pose pas ce genre de problème est celle des deux anciennes régions normandes, celle de la Basse et celle de la Haute. La Normandie enfin réunifiée jouit désormais de son nom historique, même si le choix de sa capitale a provoqué quelques tiraillements.
Partout ailleurs, les nouvelles régions découpées en 2015 sont affublées d’une dénomination provisoire accolant, dans un ordre alphabétique, le nom de celles qui y ont été intégrées. On doit ainsi, pour l’heure, parler de la région «Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes», ce qui est un tout petit peu longuet. Ce n’est qu’en juillet, bien après les élections régionales de 6 et 13 décembre prochains, que le vrai baptême sera célébré.
Méchantes disputes
D’ici là, les propositions s’agitent en tous sens. Et de méchantes disputes sont à prévoir dans plusieurs régions. Les adversaires de ces regroupements ont eu beau jeu de se livrer à quelques facéties dénominatives. D’aucuns ont ainsi suggéré d’appeler Apoil le territoire associant l’Aquitaine, le Poitou-Charentes et le Limousin. Un Alsacien furieux traite de «Arschloch» –une insulte alsacienne– l’ensemble mêlant l’Alsace, la Lorraine et la Champagne-Ardenne.
Nommer des collectivités territoriales additionnant des régions aux identités plus ou moins marquées n’est jamais chose simple. Les vingt-deux régions antérieures avaient déjà éprouvé la difficulté de transcender cette diversité interne par un nom fédérateur. Au grand dam de Michel Vauzelle, la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur est restée surtout connue par son affreux acronyme de PACA. Cet élu a même pu déplorer avoir été un jour présenté comme le «président de la région Provence-Alpes-Côte d’Ivoire»…
Plus à l’Ouest, feu Georges Frêche, pourtant têtu, n’a pas pu transformer le Languedoc-Roussillon en «Septimanie», une appellation qui sonnait autrement mieux aux oreilles de cet historien. Sa composante catalane s’était rebellée contre cette assignation linguistique en laquelle elle ne pouvait se reconnaître.
L’histoire et l’annexion
La tentation, en ces temps de quête identitaire, de raccrocher ces nouvelles collectivités à une référence historique est forte. «Occitanie» arrive en tête chez les lecteurs de la nouvelle région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées. «Languedoc» est également assez prisé, même si ces deux appellations ont le défaut de faire référence à une zone linguistique autrement plus large que la nouvelle région (et en ne concernant toujours pas les Catalans). Dominique Reynié, tête de liste UMP de cette région, croit avoir trouvé une formule de compromis en proposant le terme «Languedoc» associé à un drapeau aux couleurs catalanes…
Au nom de l’histoire de l’Aquitaine, qui englobait il y a belle lurette les régions récemment mariées avec celle-ci, son président sortant suggère tout simplement de la nommer «Aquitaine». Le raisonnement historique se tient, séduit les lecteurs de Sud-Ouest, mais n’empêchera pas les populations limousines ou autres de ses sentir quelque peu annexées.
Une situation analogue prévaut en Bourgogne-Franche-Comté. Au nom du souvenir de l’ancien duché de Bourgogne, qui englobait plus ou moins la nouvelle région, il est proposé de la qualifier carrément de «Bourgogne». Cela a le mérite de la simplicité, mais l’inconvénient de froisser potentiellement des Francomtois parfois éloignés des richesses bourguignonnes.
Le souci de la marque
Pour éviter de blesser des susceptibilités régionales, les esprits conciliateurs avancent des appellations neutres de type topographique. On parlerait alors de «Grand-Est» pour l’immense entité Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine. La supposée «Occitanie» deviendrait le «Grand-Sud-Ouest» tandis que la «Bourgogne» se transformerait en «Centre-Est».
On pleure d’avance à l’idée de noms aussi froidement géographiques. Et on compatit avec ceux qui auront la lourde charge d’imposer des «marques» régionales aussi désincarnées dans l’univers compétitif de régions du monde. Car le nom, par la notoriété et les images qui lui sont associées, peut être un atout économique et touristique de taille.
Il est à craindre que ces inconvénients croisés poussent les décideurs, même s’ils se lancent souvent dans des consultations d’électeurs pour éclairer leur lanterne, à finalement opter pour des noms à rallonge associant tout ou partie des régions fusionnées. On se dirigerait alors vers l’usage d’acronymes aussi pratiques que peu évocateurs.
N’oublions d’ailleurs pas que le dernier mot reviendra à Paris dans cette France décidément difficile à décentraliser. C’est un décret en Conseil d’État qui fixera le nom définitif de régions, l’avis de leur assemblée n’étant qu’indicatif.
L’identité floue
Ce dilemme nominatif est, au final, révélateur de la grande difficulté des régions françaises à affirmer leur identité aux yeux de la population. Les vingt-deux régions avaient dépensé beaucoup d’énergie et d’argent pour tenter d’imposer un logo et un sentiment d’appartenance dans la tête de leurs habitants.
Et voilà qu’il faut, en bien des endroits, se remettre à l’ouvrage avec un cahier des charges autrement plus complexe. Comment un électeur de l’Oise –département largement attiré par la région parisienne– pourra-t-il ressentir une communauté de destin régional avec le nouveau Grand-Nord? Par quelle miracle les populations peu favorisées des Ardennes se sentiront-elles représentées par une région siégeant à Strasbourg?
Ces vastes régions bricolées à la hâte ne généreront pas facilement un ciment identitaire. Les élections régionales, dont le taux de participation baissait déjà quasiment régulièrement depuis 1986, risquent de se dérouler dans une indifférence accrue. En septembre, un électeur sur trois ignorait jusqu’à leur existence prochaine.
Par ricochet, l’attachement à ces départements que le pouvoir actuel songeait un temps à supprimer pourrait en être revigoré. Comme par hasard, les listes régionales sont obligatoirement constituées de «sections départementales». Ces méga-régions aux noms imprononçables auront le plus grand mal à étrangler des départements plus que bicentenaires.