La formule, de toute évidence, plaît beaucoup aux journalistes. À cause de la rime, j’imagine. Alors ils exploitent le filon, l’accommodent à toutes les sauces. Dans le titre, le sous-titre, au milieu du paragraphe : « La France rance », « La France rance ! », « La France rance… ».
« La France rance de Zemmour », titrait Libération il y a deux jours. « Cette France rance aux idées moisies », pouvait-on lire, il y a dix jours, sur Le Plus du Nouvel Obs à propos de la Manif pour tous. Natacha Polony, cette « représentante de la France rance » décrivait il y a quelques mois – en toute amitié, on s’en doute – Rue 89.On peut saluer néanmoins slate.fr, qui a fait le choix courageux , il y a une semaine, d’une variante, faisant par là montre d’un esprit libre et original : « La France des rassis. » « Cette France de la bourgeoisie grasse de bêtise, la France bien blanche, bien chrétienne, bien comme il faut, élevée aux mamelles de l’école privée, trimballant ses tripotées de moutards sur le pavé parisien en glapissant des slogans si décalés avec la réalité qu’ils en deviennent risibles. » Inutile, je pense, de préciser quel était le sujet principal de cet article primesautier.
Si l’on en croit la définition du dictionnaire, il s’agirait donc d’une France qui aurait « mal vieilli, proche de la décomposition », qui aurait « pris une odeur forte et une saveur âcre ». Les synonymes seraient « aigre » et « pourri ». C’est trop gentil.
Pourtant, les lecteurs du dernier livre de Zemmour ne semblent point trop incommodés par les relents méphitiques qu’il dégage car, voyez-vous, ils se l’arrachent.
Pourtant, pour être « proches de la décomposition », les petits qui tenaient les ballons, le 5 octobre dernier, avaient le teint sacrément rose, et les gamins qui faisaient l’animation sur les chars, l’air plutôt très en forme. Plus proches, pour être exact, de l’âge du tricycle que de celui du déambulateur.
Pourtant, quand on lit ces tombereaux d’invectives, jamais argumentées, ces longs monologues d’une presse marmottant de vieilles lunes, ne sortant de sa torpeur que pour insulter quiconque la contrarie, on peine à y voir une France « fraîche » et « suave », « douce » et « exquise » (dictionnaire des antonymes).
Faut-il le lui dire, au risque de ne point améliorer, encore, son humeur ? Il est à craindre qu’il faille s’habituer à garder pour longtemps sur le nez un mouchoir trempé dans l’eau de Cologne, car cette France qui sent fort semble être partie pour durer.
La France des rassis va assez bien, merci. On dirait même que la France rance a retrouvé l’espérance.
Lu sur Boulevard Voltaire