Le hasard a voulu que le film hagiographique de Wim Wenders sur le pape François, Un homme de parole, sorte dans les salles françaises ce mercredi 12 septembre (Vidéo). Triste ironie, alors que le souverain pontife a annoncé dès le soir de la publication du témoignage de Mgr Carlo Maria Viganò qu’il n’entendait pas réagir autrement que par le silence aux graves accusations qui le visent personnellement à propos de la réhabilitation du prédateur homosexuel et ex-cardinal Theodore McCarrick, devenu conseiller écouté et faiseur de cardinaux alors que Benoît XVI lui avait personnellement imposé des restrictions à son ministère (au demeurant peu obéies). Dans son homélie de mardi à Sainte-Marthe, le pape a accusé ceux qui dévoilent les péchés des évêques de faire le jeu de Satan pour « scandaliser les fidèles ».
Le mal ne serait donc pas principalement celui du péché réel et personnel de certains successeurs des apôtres et princes de l’Eglise, s’adonnant au vice contre nature et entraînant avec eux adolescents, jeunes prêtres ou séminaristes, mais la mise au jour de ce mal.
Faire le « jeu de Satan » en révélant les scandales des abus sexuels des évêques ?
Le pape a affirmé, de manière particulièrement maladroite, que « l’évêque ne reste pas distant du peuple, il n’a pas d’attitude qui le conduise à être distant du peuple ; l’évêque touche le peuple et se laisse toucher par le peuple ». « Il ne va pas chercher refuge auprès des puissants, des élites : non… le peuple a cette attitude d’amour envers l’évêque, et il a cette onction spéciale, qui confirme l’évêque dans sa vocation », a ajouté François, présentant au fond tous les évêques comme bons – même ceux qui aujourd’hui peuvent être accusés d’avoir précisément abusé de cette proximité avec le peuple de manière malsaine.
« Cela fait du bien de le rappeler, en ces temps où il semble que le Grand Accusateur se déchaîne contre les évêques. C’est vrai, il y en a, nous sommes tous pécheurs, nous les évêques. Il cherche à révéler les péchés, qu’ils se voient, pour scandaliser le peuple. Le Grand Accusateur qui, comme il le dit lui-même à Dieu au premier chapitre du Livre de Job, “parcourt le monde en cherchant comment accuser” », a affirmé le pape.
Où l’on comprend que le pire des maux, la véritable œuvre du Malin, serait de « révéler les péchés », et non les péchés eux-mêmes qui sont en quelque sorte le lot commun de tous. Oubliée, la hiérarchie des péchés ! Tous seraient à la même enseigne, il n’y aurait plus de particulière urgence à dévoiler et à combattre une coterie homosexuelle, le plus grave serait de montrer qu’elle existe.
Le pape François préconise le silence : ce qui a justement gangréné l’Eglise
Il faut ici s’interroger sur le sens que donne le pape au mot « scandaliser ». Au sens traditionnel il s’agit de pousser au mal, d’inciter à pécher en présentant les actes mauvais comme naturels, acceptables… Véritablement, c’est le grand mal de notre époque, spécifique au relativisme, présent hélas dans les écoles comme dans les médias, dans les « structures de péché » qui nous entourent, dans l’air même que nous respirons, vicié par le matérialisme, l’oubli et le rejet de Dieu, la culture de mort. Mais ce n’est pas cela que désigne François. Il emploie le mot au sens moderne, qui est de « choquer », de rompre la confiance des fidèles donc, à l’égard de leurs pasteurs.
Faudrait-il donc recouvrir les manquements de ces pasteurs du manteau de Noé afin que les fidèles leur conservent estime et confiance ? Des pasteurs qui ont si gravement manqué à leurs obligations, qui ont précisément trahi la confiance des jeunes, des parents, des candidats au sacerdoce ? Des pasteurs qui, comme le cardinal McCarrick, ont pu influer sur le choix de nouveaux cardinaux ?
C’est la logique du silence, celle-là même qui a présidé à tant de comportements irresponsables et de réponses inadéquates pendant la grande époque des abus sexuels parmi le clergé. Au fond, il s’agit d’un appel au « cléricalisme » dénoncé par le pape François lui-même, ce cléricalisme qui veut que l’on protège et que l’on se taise en raison de la dignité des clercs.
Parmi les péchés des évêques, les abus homosexuels ont un statut à part
Une chose est vraie, le scandale actuel déstabilise l’Eglise et provoque la colère d’innombrables fidèles. Vaudrait-il mieux l’éviter ? Ne s’agit-il pas plutôt d’une nécessaire prise de conscience qui seule peut permettre une purification dans la vérité ? Pour éviter que cette gangrène ne s’installe encore plus durablement au plus haut de la hiérarchie catholique ?
Le pape répond : « La force de l’évêque contre le Grand Accusateur est la prière, celle de Jésus pour lui et la sienne ; et l’humilité de se sentir choisi et de rester proche du peuple de Dieu, sans aller vers une vie aristocratique qui lui ôte cette onction. » Mais quel rapport avec ce que l’on voit aujourd’hui ? Aurait-il mieux valu passer sous silence les graves manquements d’un P. Maciel, plutôt que de les mettre au jour et de permettre aux Légionnaires du Christ de s’en détacher et de repartir sur de bonnes bases ?
Oui, nous sommes tous pécheurs, depuis le pape jusqu’au dernier des fidèles. Mais le commun dénominateur de toute cette affaire, et le vrai problème qui se pose, c’est la banalisation de l’homosexualité au sein de l’Eglise. Et il semblerait que ce soit là le mal, le seul mal que l’on ne veuille pas voir, nommer ni dénoncer. Car le pape lui-même ne s’est pas privé de fournir le catalogue des péchés des cardinaux, à l’intention de tous les fidèles, lors de ses premiers vœux à la Curie, sans nommer ce qui souille aujourd’hui le plus l’Eglise.
On nous pardonnera de trouver tout cela particulièrement tordu.