César de Nostradame

Les trois fils de Michel de Nostredame écrivirent de la poésie mais seule celle de l’aîné, César, eut quelque publicité lorsqu’il publia plusieurs volumes à la fin des années 1600, sur le tard. César est né en 1555, il est mort en 1629 : il est l’exact contemporain de Malherbe.

Elégantes éditions en caractères italiques sorties des presses des Colomiers à Toulouse, ses recueils de poésie sont signés « César de Nostradame, gentilhomme provençal », et les quelques lettres qu’on a de lui : « Nostradame ». C’est donc ainsi que je l’appellerai, même si une réédition moderne le nomme « César de Nostredame » et si sa volumineuse Histoire et Chronique de Provence parue à Lyon en 1614 est signée « César de Nostradamus ». Sans doute l’éditeur lyonnais de L’Histoire de Provence a-t-il voulu attirer l’attention des lecteurs sur la filiation entre l’historien et l’astrologue dont les Centuries avaient été publiées justement à Lyon, 55 ans plus tôt. Une filiation que ne reniait pas le poète, au contraire : il loue toujours son père comme un grand homme aux dons extraordinaires.

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La critique moderne est très sévère à l’égard du travail « historique » de Nostradame. Mais l’épître dédiée au roi qui ouvre l’ouvrage mériterait d’être citée en entier, et apprise par cœur par les petits Provençaux car elle s’ouvre sur une magnifique louange de cette petite patrie :
« L’une des plus illustres pièces de Dieu est le monde, du monde l’Europe, de l’Europe la France, et de la France la Provence. La bien-aimée des vieux Romains, leur petite Italie et la province des provinces, par un haut titre d’honneur qui ne convient à nulle autre, douce de tant de singuliers avantages qu’elle ne cédera pas, soit en aménité d’air, soit en fertilité de terrain, soit en plaisance de campagnes, soit en abondance de grains, huiles et vins délicieux ; soit en espèces de fruitages, soit en variété de fleurs, soit en rareté de simples, soit en délices de pâturages, soit en haras et troupeaux, soit en bois et forêts superbes (…). Une seconde Palestine, une Terre sainte et sacrée heureusement enrichie de la plupart des vénérables et saintes restes de la famille de Dieu. »

Cet amour de la Provence revient à plusieurs reprises dans son œuvre, de même que sa dévotion à sainte Madeleine qui y est liée. Ses trois grandes poèmes spirituels tournent autour du thème de la Passion : Les Perles, ou les Larmes de sainte Madeleine ; Dymas, ou le bon larron ; La Marie dolente.

La poésie spirituelle de Nostradame est à l’image du talent du poète : inégale, et souvent d’une expression démodée. Il y a dans Les Larmes de sainte Madeleine une sensibilité qui n’est plus la nôtre. On goûte davantage le pittoresque et la simplicité du passage sur la Sainte-Baume, passage hélas gâté in fine par la mythologie.

Au ciel bénin du cœur de la Provence,

Un grand rocher affreusement s’avance

Qui s’élevant d’un front audacieux

Perce la nue et voisine les cieux.

Ce grand colosse étrange en sa machine

Tourne sa bosse et sa grand lourde échine…

(…) Mais son nombril compose un petit antre

Ou seulement une fois Phoebus entre

Vers le solstice, à côté regardant

Froid et venteux Borée et l’Occident.

Les muses démultipliées

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César de Nostradame était poète, mais aussi peintre et musicien. Ecrivant un poème sur la mort d’un joueur de luth qu’il a connu (Vers funèbres sur la mort de Charles du Verdier), il le dédie d’une façon claire : « Orpheo alteri Orpheus alter », soit « D’un autre Orphée à un autre Orphée » ou plus légèrement « D’un Orphée à un autre ». Ce poème contient un passage étonnant : une cinquantaine de vers composés uniquement de noms propres (même procédé dans Le songe de Scipion, 25 vers de noms géographiques ; et brièvement huit vers de noms communs dans La Marie dolente ; échos des « accumulations » qu’affectionnait son père ?). C’est Charon qui parle, énumérant les gens célèbres qu’il a passés sur sa barque. Se succèdent héros bibliques et mythologiques, philosophes, poètes (dont Du Bellay et Ronsard, « L’un cygne vendômois, l’autre cygne angevin »), femmes célèbres, créatures diverses, et le père du poète : Nostradamus. Viennent à la fin les grands peintres et sculpteurs.

Polignot, Zeuxe, Apelle excellent en peinture,

Phidias, Praxitèle étonnant la nature,

Raphaël, Michel-Ange, et Janet, et Monstier,

Qui mirent jusqu’au ciel cet illustre métier.

Monstier, c’est M. de Monstier père, son maître en peinture comme Nostradame le rappelle à son cousin Hozier (lettre du 3 novembre 1617) : « l’un des plus dignes personnages de son temps et mon singulier et parfait ami », à qui « je dois encore la toute délicatesse de mes crayons et de ma peinture ». Nostradame a alors 60 ans passés, et peint essentiellement des miniatures : « je peins en petit mieux que jamais et fais des portraits et des Notre-Dame [jeu de mots…] à l’huile dans des ovales de la grandeur d’un sou sans lunettes, où la mère et le fils sont tout entiers, au moins la mère jusqu’aux genoux ».

Vierge à l’Enfant, avec saint Jean-Baptiste : huile sur toile (44,3 x 30,5) attribuée à Nostradame. Le personnage semble être le peintre lui-même plutôt qu’un donateur. Peinture passée en vente chez Trajan (1999) puis Christie’s (2008).
Vierge à l’Enfant, avec saint Jean-Baptiste : huile sur toile (44,3 x 30,5) attribuée à Nostradame. Le personnage semble être le peintre lui-même plutôt qu’un donateur. Peinture passée en vente chez Trajan (1999) puis Christie’s (2008).
Nostradame semble avoir pratiqué essentiellement la miniature. En 1600, il offre à Marie de Médicis qui passe à Salon (venant de Florence elle rejoint Henri IV à Lyon) une miniature des futurs époux royaux. Le portrait du roi est jugé ressemblant, celui de la princesse, moins. C’est César de Nostradame qui a organisé les décorations de Salon pour accueillir la princesse : il a rédigé, en latin et en français, les devises et poèmes qui ornent les arcs triomphaux. Il détaille tout cela dans un long texte (L’Entrée de la reine [Marie de Médicis] en sa ville de Salon, Aix-en-Provence, 1602), où il montre ses compétences en épigraphie latine, sa fierté d’être appelé « Signor di Nostradama » par la princesse, et donne quelques renseignements qui concernent sa biographie : on apprend qu’il était à Anvers pour le couronnement de François de France (1582), qu’il est allé deux fois à Rome entre 1572 et 1590, qu’il a fait un pèlerinage à Loreto (Lorette) pour obtenir une guérison.

Le corpus des peintures de Nostradame est plus que restreint. A part les deux portraits de son père, son bel autoportrait conservé à la bibliothèque Méjanes (qui nous a gracieusement autorisé à le reproduire) et une ou deux œuvres « attribuables », tout reste à faire pour identifier ce qui a pu survivre au Temps.

Peindre en rimant
Détenteur de dons variés, Nostradame n’a de cesse de les mêler. La poésie est un art parlant, la peinture une « poésie muette » : « Si bien que ceux qui ont quelque galante pratique avec la divine et muette poésie, communément appelée peinture (du don de laquelle je rends infinies grâces à la nature)… » (Dédicace des Perles, à la comtesse de Carces). Il montre ses connaissances techniques de peintre dans ce même passage : perles et larmes se peignent de la même façon, « un même pâle-bleu, même trait, même enfondrement, même faux-jour, et même éclat s’y doit appliquer ». Comme son Tableau de Narcisse, cette Madeleine est « un petit tableau tout d’or et d’azur d’outre-mer, avec son cadre de perles » ; de même Dymas : « Je viens à ton saint temple appendre cette image » – ce poème.

Dans Le tableau de Narcisse, il tente la fusion du poète et du peintre, indiquant comment peindre les chairs et le corps en raccourci, dans des vers à vrai dire laborieux. Même tentative dans La Marie dolente, où il évoque la technique du glaçage à base de laque ; cela prépare une comparaison, le sang du Christ est lui-même une laque qui donne un éclat incomparable à toutes choses en coulant.

Comme un peintre excellent lorsqu’il couche ou qu’il plaque

La romaine, indienne et florentine laque

Sur le pourpre ou le pers, le vermeil ou le gris,

L’incarnat ou le blanc d’un tableau de haut prix,

D’une seule couleur qu’il estompe et qu’il glace

De ce corps diaphane et cramoisi qu’il passe

Il sait mille couleurs vivement varier,

Selon qu’à divers fonds il la vient marier :

Non autrement le sang que chaque membre verse,

Que le clou, que l’épine et que la lance perce,

Glace, varie et teint de si vives couleurs

Qu’elles font peur au vif des gemmmes et des fleurs.

Le sang qui le cristal de sa chair glace est rose ;

De la croix brun œillet ; du poil passe-velours ;

Des veines violette ; et penséë des cloux.

Rose, brun œillet, passe-velours, violette, pensée : on notera le beau nuancier. Passage analogue dans Les Perles, où les noms des médiums et pigments sont intéressants à relever pour le peintre ou l’historien des arts : blanc d’œuf, blanc de Venise, laque d’Inde ou de Florence, azur d’Acre, bleu d’outre-mer… César de Nostradame ne reconnaît qu’une limite à son art : lorsqu’il doit peindre la Madeleine en extase. Qu’il n’ait pas été mécontent de ses talents et de sa personne transparaît çà et là dans son œuvre, et plus encore dans un passage des Vers funèbres où il fait parler le mort de lui-même :

[César] à qui l’on croit infuses

Des vers, du luth, des traits, les trois bessones Muses

Et qu’on estime bien tant unique en ces trois

Qu’il mérite la grâce et l’accès des grands rois.

16 000 vers de chevaleries
La postérité ne s’est pas trouvée d’accord avec cette vanité d’auteur. Avant la Révolution, l’une des dernières mentions qu’on a du poète se trouve dans la Bibliothèque française de l’abbé Goujet (Paris, 1753, tome XV, p. 212-219). Ensuite, Nostradame disparaît de l’histoire littéraire. Ce n’est qu’à la fin des années 1960 qu’il refait surface ; chez les spécialistes, il semble intéresser les Américains plus que les Français. La seule édition moderne de ses œuvres spirituelles est due à un chercheur de l’université de Pennsylvanie, Lance-K Donaldson-Evans (Droz, 2001).

A la fin de sa vie, Nostradame essayait de trouver un imprimeur à Paris pour son Hippiade, ou « Godefroy et les chevaliers » : 16 000 vers environ, ainsi que pour quelques pièces héroïques représentant 8 à 10 000 vers… Aucun n’a donné suite. Le manuscrit de L’Hippiade dort dans les réserves du musée Paul-Arbaud, à Aix-en-Provence. Il a été étudié par Y. Le Hir (Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, T. 50, n° 2, 1988, p. 373-379), qui signale une annotation de Charles Nodier : celui-ci qualifie l’auteur de « poète médiocre, mais fort érudit ». Le Hir note « les faiblesses d’un style grandiloquent » et, en effet, nous l’avons dit : le poète est inégal. Mais on cote, çà et là dans ses poèmes, des passages où il intéresse (histoire des idées, des sensibilités), et des passages où le versificateur disparaît derrière le poète, comme ces quatre vers tirés des Vers funèbres – c’est Charon qui parle :

Or t’en va donc en paix j’entends à l’autre rive

Une troupe de morts qui pêle-mêle arrive

Ton luth m’a trop payé dont les Dieux sont épris

Je ne veux rien de toi, je t’en quitte le prix.

A quand des morceaux choisis de César de Nostradame ?

Samuel Martin – Présent

Illustration: portrait de César de Nostradame à l’âge de 59 ans, tel qu’il figure dans L’Histoire et Chronique de Provence. Getty Images

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