Les Afghans sont le deuxième plus important groupe de migrants clandestins, après les Syriens, à déferler via des filières de passeurs sur le continent européen, confronté du nord au sud à sa plus grande crise migratoire depuis la seconde guerre mondiale. Et cet afflux soudain, qui fait la une des médias internationaux et donne des maux de tête à des pays européens peinant à harmoniser leur politique migratoire, suscite déjà de nouvelles vocations dans un Afghanistan empêtré dans la guerre et le sous-développement.
«Les vannes sont ouvertes, c’est notre meilleure chance d’atteindre l’Europe», lance ainsi Mirwais, qui travaillait comme traducteur pour l’armée américaine sur une base de la province de Kunar (est), largement infiltrée par les rebelles talibans.
Cet homme dans la vingtaine, qui comme nombre d’autres anciens traducteurs des forces occidentales se dit menacé par les insurgés, attend en vain depuis trois ans un visa spécial pour les Etats-Unis.
Lorsqu’il a vu cette semaine les images à la télévision de dizaines d’Allemands avec des pancartes sur lesquelles était écrit le message «Bienvenue aux réfugiés», Mirwais s’est dit qu’il y avait peut-être là une autre chance à saisir. Il s’est aussitôt précipité au bureau des passeports de Kaboul pour y renouveler le sien.
Son plan s’il n’obtient pas rapidement le sésame américain est de payer des passeurs, dont le commerce fleurit ces jours-ci en Afghanistan, pour entamer une migration périlleuse de Kaboul à destination de l’Allemagne, en passant notamment par l’Iran et la Turquie.
«J’ai entendu dire qu’en Allemagne, on donnait la priorité aux Syriens, mais je pense que les Afghans ont aussi de bonnes chances», lance Mirwais en égrenant les billes de son chapelet musulman dans la longue file d’attente du bureau des passeports de la capitale afghane.
Avec le départ l’an dernier des forces de combat de l’OTAN, qui soutenaient Kaboul face aux talibans, et les craintes d’un retour à la guerre civile, le nombre d’Afghans ayant demandé le statut de réfugié dans les pays industrialisés a bondi de 65% en 2014, selon le haut commissariat de l’ONU pour les réfugiés de l’ONU. Et ces chiffres n’incluent pas les Afghans arrivés par des filières clandestines, plus de 50’000 depuis le début de l’année 2015 en Europe selon le HCR.
Comme d’autres, les Afghans voient «les images de ceux qui ont atteint l’Europe», mais aussi les photographies de ceux morts en chemin, comme celle d’Aylan, le Syrien de trois ans dont le corps sans vie gisant sur une plage a fait la une de la presse internationale, explique Richard Danziger, directeur pour l’Afghanistan de l’organisation internationale pour les migrations (OIM).
Mais ils sont davantage «inspirés» par les premiers, car pour un migrant, «les images et histoires de ceux qui ont réussi marquent davantage que celles de ceux qui ont péri», dit-il à l’AFP.
L’ex-président Hamid Karzaï a ajouté sa voix à celle de nombreux responsables afghans implorant leur population à ne pas quitter le pays. «O jeunes Afghans, restez au pays, bâtissez-le… Le pays a besoin de vous», a-t-il déclaré dans un élan de patriotisme. «Dire aux gens de ne pas partir ne fonctionne pas», rétorque M. Danziguer, qui appelle plutôt les autorités afghanes à parler directement à ceux qui sont tentés par l’exil.
Haji Popal, un Afghan de 65 ans, père de neuf enfants, a lui fait son choix. Il est prêt à s’embarquer pour un périple en Europe. «Nous irons n’importe où, où nous serons les bienvenus, que ce soit en Allemagne ou en Autriche. Nous devons partir», martèle-t-il.
Mirwais, lui, transpire à grosses gouttes devant le bureau des passeports de Kaboul, où des migrants en devenir s’agglutinent dès 04h00 du matin ces jours-ci pour obtenir ou renouveler leurs papiers.
Il dit vivre sous la menace des talibans qui auraient épinglé à la porte de sa maison en 2012 une lettre explicite: «Nous allons te décapiter pour avoir travaillé avec les infidèles étrangers», peut-on lire sur ce bout de papier dont lui seul sait s’il est authentique.
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