Les universités américaines en ont fait un genre à part entière : la « cli-fi », pour « climate fiction », et y rangent tous les romans d’anticipation ou de science-fiction portant sur le réchauffement climatique. En français, on parle aussi, plus généralement, d’« écofictions », comme les nomme Christian Chelebourg dans son ouvrage de synthèse Les Écofictions – Mythologies de la fin du monde, publié en 2012.
De fait, les titres abondent et le filon semble particulièrement prometteur : pas de pénurie dans ces eaux éditoriales là.
Du point de vue de l’histoire littéraire, les chercheurs datent des années 60 cette nouvelle mode : on cite d’ordinaire le célèbre Dune de Frank Herbert (1965), roman de science-fiction le plus vendu au monde, précédé en 1964 de Sécheresse de James Graham Ballard. Ce dernier est reconnu, aujourd’hui, comme un pionnier du genre, notamment par l’Américain David Brin, auteur de Terre, paru en 1993, ou par le Français Jean-Marc Ligny, auteur de la trilogie Aqua™, Exodes et Semences, parue de 2006 à 2015.
Bien sûr, on peut remonter plus haut, aux Raisins de la colère de Steinbeck, que Claire Perrin, doctorante de l’université de Perpignan, a choisi comme sujet de thèse dans cette perspective.
Mais on est surpris de constater l’oubli dans lequel est laissé un roman bien antérieur, européen, écrit en français et qui porte, de façon assez prémonitoire – à la fois par rapport au phénomène climatique et à la mode éditoriale – sur le réchauffement. Je l’ai découvert par hasard, alors que je rentrais d’un court séjour en Suisse et où, émerveillé par les eaux du Léman, ses montagnes, ses vignes et ses villages, j’ai eu envie de retrouver Ramuz. Ouvrant le tome 2 de ses romans dans la Pléiade, je suis donc tombé sur cette Présence de la mort, publié en 1922. « Roman mal connu », de l’aveu même de son éditeur dans la Pléiade, il est pourtant « un ouvrage matriciel », et pas seulement pour l’œuvre de Ramuz, mais aussi pour notre XXIe siècle.
Certes, le réchauffement n’y est pas attribué à une cause anthropique, et il n’est, pour l’éditeur du roman, qu’au « second plan » de l’intrigue, mais sa description, comme toujours chez Ramuz, y est à la fois très réaliste (vous y retrouverez bien la Suisse de Ramuz et de 1921 !) et visionnaire, et, surtout, dépasse la platitude des messages politico-moraux de l’agitation (bonjour, Greta !) et même de la production éditoriale actuelles, pour envisager en profondeur le destin de l’humanité confrontée à sa fin. Car, si l’on prenait vraiment les choses au sérieux, il s’agit tout de même bien de cela. Et peut-être faudrait-il alors affronter le problème avec d’autres armes que les vidéos de Greta. Ou de Brune Poirson.
Donc, Ramuz. Chez lui, le métaphysicien n’est jamais loin et le dernier chapitre est saisissant. Prophétique, métaphysique, ce roman, très travaillé, est aussi poétique, dans sa langue, sa structure, ses visions, mais également politique puisque, parallèlement au réchauffement qui s’abat sur la communauté humaine du Léman, la mort vient également par la flambée révolutionnaire qui toucha aussi Genève après 1918.
Pour information, l’idée du roman avait été soufflée à Ramuz par cette actualité et par un mois de juillet 1921 particulièrement chaud au bord du Léman, avec des températures dépassant les 35 °C, une canicule qui le décida à écrire dès août 1921. Rien de nouveau sous le soleil.
Alors, laissez-vous emporter : « Il n’y avait pas eu d’autres signes jusqu’à ce jour que l’extrême sécheresse. […] Et on souffrait bien un peu, mais c’était supportablement, parce qu’il y avait cette beauté du ciel, et puis nous sommes ici au bord d’un lac. »
Et, pour goûter pleinement la sagesse du livre, n’oubliez pas l’exergue, « ajouté à la main sur le premier dactylogramme » par Ramuz lui-même : « En souvenir d’un été où on a pu croire que ce serait ça. »
Pascal Célérier – Boulevard Voltaire