De la jeune fille en bleu à la jeune fille verte

Tout lecteur d’Alexandre Vialatte (voir Présent du 15 avril 2017) connaît les vertus des pilules Pink : avant leur prise, un visage hagard, les yeux perdus, le menton mal rasé ; après, le regard altier et la figure d’un « battant », comme on ne disait pas à l’époque. Certains livres gardent les mêmes effets envers leurs lecteurs les plus fidèles ; c’est le cas des ouvrages de Wodehouse, que l’on conseille de savourer à temps et à contretemps et particulièrement dans les moments de grisaille, pour se remonter le moral.

On a beau en connaître tous les « trucs » (tantes à l’énergie épuisante, comtes fanatiques de l’élevage de la plus belle truie, neveux dispendieux et toujours à la merci de jolies filles ambitieuses, heureusement sauvés par un valet à l’imagination débordante…), le charme agit toujours. Les Belles Lettres ont l’heureuse idée de rééditer des titres moins connus que l’inusable Jeeves. Viennent de paraître Célibataires anonymes et La Jeune Fille en bleu.


Dans le premier, Wodehouse met en scène un homme d’affaires américain du milieu du cinéma, « demandeur » compulsif (entendez « demandeur en mariage » : il s’est marié cinq fois pour divorcer… cinq fois). Son explication est qu’il n’a plus aucune idée de sujet de conversation au bout de cinq minutes quand il invite à dîner une jolie femme et ne trouve plus à lui dire que « Voulez-vous m’épouser ? » L’influence du soleil, si présent en Californie, doit également jouer, pense-t-il, aussi décide-t-il de partir en séjour pour l’Angleterre, où le risque sera moins grand. Mais méfiance tout de même ! remarque son avocat, qui tient à lui adjoindre sur place un gardien chargé de le surveiller.

On retrouve les avocats et les coups de foudre (qui explosent « avec la brusquerie d’une explosion de gaz ») dans La Jeune Fille en bleu. Les rebondissements abondent, les infirmières, les héritages improbables qui vont et viennent, les fiançailles rompues se renouant, de sérieux hommes d’affaires tentés par le coup de folie du mariage retrouvant miraculeusement leur état normal, de faux majordomes et, bien sûr, des jeunes filles très différentes : intéressées par la pseudo-fortune de leur fiancé putatif, ou remarquables de naturel et de spontanéité. Grâce à l’intervention d’efficaces anges gardiens, tout est bien qui finit bien.

Wodehouse entraîne son lecteur dans un joyeux tohu-bohu auquel il ne demande aucun réalisme. Au contraire, le temps d’une plongée dans ce monde fantaisiste lui permet de décrocher sainement avec le quotidien et le revigore à coup sûr. Faisant allusion à la saga de Blandings, Evelyn Waugh évoquait un jour « les jardins de Blandings dont nous sommes tous des exilés ». On comprend que la Reine ait décidé de décorer Wodehouse (mort en 1975) de l’ordre de la chevalerie de l’Empire britannique car, par son œuvre – 90 romans, 300 nouvelles, 500 articles, des scénarios de films, des pièces de théâtre, des livrets de comédies musicales – il est un véritable bienfaiteur de l’humanité. Cet humoriste anglais, fanatique de cricket, amoureux de New York et du Touquet, joue admirablement dans ses romans de l’argot des collèges et du parler savoureux des cockneys.

Mais puisqu’un auteur français, Alexandre Vialatte, est cité en préambule, pourquoi ne pas terminer par une pirouette en conseillant pour finir la lecture de… La Jeune Fille verte, de Paul-Jean Toulet ?

  • P.G. Wodehouse, Célibataires anonymes, La Jeune Fille en bleu, éd. Les Belles Lettres, chaque volume 13,90 euros.

Anne Le Pape – PRÉSENT

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