Nous sommes injustes. Vous, moi, nous tous… Nous ne prenons pas assez la mesure des charges qui incombent, dans ce pays, aux forces de police. Nous n’imaginons pas le stress qui saisit ces hommes et ces femmes quand il leur faut déjouer les pièges de dangereux criminels, passer des heures à écouter, des nuits à planquer… quand il faut éplucher l’intimité des suspects pour mieux rechercher dans leur passé les signes avant-coureurs qui ont conduit au crime.
Tenez, prenons cette enquête qui échoit aujourd’hui à la police judiciaire et concerne l’un des siens : Philippe Lavergne, le directeur de la protection judiciaire de la jeunesse de Paris soi-même. Quelle charge alors, quelle angoisse sans doute pour eux, ses subordonnés, qui doivent enquêter sur des faits gravissimes mettant en cause leur hiérarchie !
Leur directeur aurait en effet évoqué le « Banania » en s’adressant à un éducateur noir, qui plus est représentant syndical de la profession. Pas le Nesquik ni le chocolat Poulain ou la maison Menier, non, vous avez bien lu : le Banania.
On a peine à s’expliquer comment un tel crime a pu être commis. Que de jeunes étudiants défoncés aient massacré une copine à coups de poing américain puis aient tenté de la dissoudre dans l’acide, passe encore. On peut comprendre. Que des jeunes partis de leur banlieue pour la Syrie y soient aujourd’hui décapiteurs en chef, on peut aussi l’admettre. Mais évoquer le Banania devant un représentant des minorités, alors là…
Les témoignages confirment, hélas, les faits : c’était au cours d’une réunion qui s’est tenue le 31 juillet, « tendue » à ce qu’il paraît, « pour évoquer la perspective de nouveaux recrutements », nous dit Le Parisien. On imagine : les cadences infernales, les RTT qui sautent et le reste avec. À la victime – « un élu syndical de l’UNSa Justice d’origine africaine » – qui lui demandait s’il avait sollicité la hiérarchie, monsieur Lavergne a répondu : « Moi, je n’ai pas été élevé au Banania. »
Sommé de s’excuser, monsieur le directeur Lavergne s’exécute, reconnaît « une réaction totalement déplacée d’agacement » mais qui relevait de l’« autodérision » et « sans aucun rapport avec des propos racistes ». Le 4 août, il renouvelle ses excuses par courrier, assurant que cette phrase, s’adressant à la cantonade, était destinée à souligner son impuissance. Qu’importe, ça n’est pas suffisant. La victime porte plainte. La plainte est reçue, confiée à la PJ (pas comme celle de ma voisine cambriolée dans son sommeil par un escaladeur de façade).
Joint par Le Parisien, le dangereux criminel explique : « Dans les années 90, il y avait une pub qui disait “Zorro a été élevé au Banania, Superman a été élevé au Banania”. C’est en référence à cette pub que j’ai prononcé cette phrase. C’était une façon de dire que je ne suis pas un surhomme. »
Monsieur Lavergne dit vrai. En 1988 exactement, Banania lance une campagne pour tenter de rajeunir la marque et met en scène des personnalités : Zorro, Ramsès, etc., avec pour slogan « Élevé au Banania ».
Remplacer Y’a Bon par Einstein n’a pas pu sauver la marque Banania. Il est à craindre que ça ne sauve pas non plus la peau de Philippe Lavergne.
Quand une société baigne à ce point dans la connerie, c’est, hélas, sans espoir.