De la Commune Sans Nom à Val civique en passant par La Carmagnole… Voyage au pays de la Révolution!

Saviez-vous que Grenoble (Isère) s’est un temps appelée «Grelibre», que Saint-Etienne (Loire) a été rebaptisée en «Ville-d’Armes» ou que Versailles (Yvelines) a été nommée… «Berceau-de-la-Liberté» ? Ce sont quelques exemples des changements de noms de communes qui sont survenus pendant la Révolution française. <btn_noimpr>

Des baptêmes parfois très folkloriques qui furent finalement annulés il y a 200 ans, le 8 juillet 1814, par un décret de Louis XVIII. La parenthèse fut de courte durée, mais jamais la France n’a connu un tel remodelage des noms de ses territoires.

Les communes qui ont changé de nom avaient souvent un nom religieux auquel on substitue une appellation laïque, voire franchement républicaine. Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) est ainsi devenue «Bains-sur-Seine», La Villedieu (Charente-Maritime) fut renommée «La Carmagnole». Toute référence à la monarchie ou à la noblesse ont aussi été gommées. Bucy-le-Roi (Loiret) fut rebaptisée «Bucy-la-République», «Martigny-le-Peuple» a remplacé Martigny-le-Comte (Saône-et-Loire). Beaucoup de communes ont aussi pris le nom de Marat, le révolutionnaire radical assassiné le 13 juillet 1793. Certaines villes, enfin, parce qu’elles se sont soulevées contre le parti de Robespierre, sont punies, à l’instar de Marseille devenue… «Commune-Sans-Nom» !

Automne 1793, la grande transhumance estivale touche à sa fin. Après des mois passés à faire paître leurs troupeaux sur les hauteurs du Piémont, c’est l’heure, pour des milliers de bergers provençaux, de « far la routo » (faire la route) en sens inverse. A la tête de sa cohorte de moutons, Eusèbe redescend vers son Alès natal.

 Un long parcours à pied où il faut savoir ménager des étapes. Un pâtre lui a justement dit le plus grand bien de Barcelonnette. Eusèbe a suivi ses indications à la lettre et, début novembre, en découvrant une belle bourgade au fond d’une vallée, il pense être arrivé à bon port.

« Bonjour, monsieur, lance-t-il à un homme en armes à l’entrée de la ville. Suis-je bien à Barcelonnette ? » « Il n’y a plus de monsieur ici, répond son interlocuteur d’un ton bourru. Et plus de Barcelonnette non plus. » « Mais où suis-je alors ? » reprend Eusèbe. « Bienvenu à Val-Civique, citoyen ! »*

Quiconque quittait — comme Eusèbe — la France pendant quelques mois en 1793 aurait été sacrément déphasé. Car, dans cette année terrible où la Terreur se met en place, la Révolution s’accélère, s’emballe et bouleverse tous les repères. Le 6 octobre, le calendrier républicain est entré en vigueur. Et le 17 octobre (le 25 vendémiaire, donc), un décret est pris pour officialiser les changements de nom des communes. Depuis des semaines en effet, elles sont des milliers à avoir été rebaptisées par les sans-culottes.

Marseille, puni, devient Commune-Sans-Nom

Souvent, ce sont des villes au nom religieux auquel on substitue une appellation laïque, voire franchement républicaine. Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) devient Bains-sur-Seine, La Villedieu (Charente-Maritime) est renommée La Carmagnole. Que ce soit à travers le calendrier ou les noms de communes, il s’agit pour les révolutionnaires de « régénérer la société, décrypte Jean-Luc Chappey, maître de conférences associé à l’Institut d’histoire de la Révolution française (IHRF). Pour cela, il faut remplacer la culture de l’Ancien Régime par une nouvelle culture républicaine ».

Toute référence à la monarchie ou à la noblesse est gommée. Bucy-le-Roi (Loiret) devient Bucy-la-République, Martigny-le-Peuple remplace Martigny-le-Comte (Saône-et-Loire). On promeut aussi de nouveaux héros. Plusieurs villes prennent le nom de Jean-Jacques Rousseau, d’autres sont nommées Guillaume-Tell ou Brutus (le premier est le héros de l’indépendance suisse, le second a tué César le dictateur). Surtout, beaucoup de communes prennent le nom de Marat, le révolutionnaire radical assassiné le 13 juillet 1793, tout comme naissent nombre de petits Marat dans les mois qui suivent. Certaines villes, enfin, parce qu’elles se sont soulevées contre le parti de Robespierre, sont punies, à l’instar de Marseille qui devient… Commune-Sans-Nom !

Paris n’échappe pas à cette folie toponymique. « Sade lui-même proposera, le 7 novembre 1793, de renommer des rues de Paris, rapporte Pierre Serna, le directeur de l’IHRF. La rue de l’Arcade se serait par exemple appelée rue de Spartacus et la rue des Capucines changée en rue des Citoyennes-Françaises. » Ses propositions ne seront finalement pas appliquées.

Si le retour de la royauté, en 1814, fait rentrer dans le rang les villes qui avaient changé de nom, Napoléon avait mis un sérieux holà, notamment après la signature du Concordat avec l’Eglise en 1802. Il n’empêche : si la parenthèse fut de courte durée, jamais la France n’a connu un tel remodelage des noms de ses territoires. Une telle folie imaginative. Comme si elle avait, un temps, perdu la tête.

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