Le soldat impossible de Robert Redeker

Qui, pour penser encore le Soldat ?

 

Unknown-18 Par Marie Piloquet

Ovni inattendu dans le florilège d’ouvrages consacrés au centenaire de la Grande Guerre, le livre de Robert Redeker mérite que l’on s’y attarde. Agrégé de philosophie, vivant sous protection policière depuis sa tribune polémique sur l’islam parue dans Le Figaro en 2006, l’essayiste, plutôt de gauche à l’origine, fait sa propre réflexion sur la guerre dont le sens profond s’est égaré dans les méandres du XXe siècle et de ses deux occurrences meurtrières. Une ode aux combats d’antan ? Non pas. Mais il semble que, depuis 1945, la guerre soit devenue objet d’histoire, d’ores et déjà inscrite « dans l’ordre du cinéraire », au profit d’un « rêve millénariste d’une paix perpétuelle », en particulier dans notre vieille Europe et dans notre France à nous.

Exit la terre charnelle de Péguy, l’épais et glorieux roman national de nos pères. Le soldat, ce « fâcheux facho », est devenu infréquentable et ses victoires ne s’apprennent plus dans les livres scolaires. De sorte qu’il a fini par devenir ce que Redeker appelle « un impensé ». « Le soldat a subi un sort semblable au prêtre catholique et au professeur, au fur et à mesure que la société ringardisait le premier sans oublier de rabaisser le second à la fonction d’animateur socioculturel chargé d’enseigner l’ignorance. »

« Une anthropologie optimiste au rabais »

Pourtant, aussi cruelle qu’inévitable, cumulant les paradoxes mais trouvant toujours à se justifier, la guerre n’est pas l’apanage de l’état de nature comme le prétend Hobbes, ni celui de la société évoluée comme l’affirme Rousseau : elle est au cœur de la culture humaine, « dont elle exprime une face terrible », mais réelle : Joseph de Maistre y revient à juste titre dans Les Soirées de Saint-Pétersbourg. La nation est la « chair politique » du soldat et c’est pour elle qu’il tue et meurt dans cette « forge anthropologique » qu’est le combat, dans cet uniforme, cette « peau de textile, culturelle, nationale », vomie par Alain et discréditée par la majorité. « Sans doute est-ce parce que la majorité de nos contemporains n’ont plus accès aux dispositions de cœur et d’âme dont il est l’expression : le dévouement jusqu’à la mort et à la nation et à la patrie, accompagné de la fidélité sans faille à la promesse donnée. »

Le pacifisme, hanté par le nazisme, a refusé de penser la politique et crucifié le porte-drapeau, prétextant la générosité quand il ne proposait qu’un rêve éveillé, pas même naïf. Qui veut faire l’ange fait la bête. Les seules guerres qui persistent sont devenues progressistes, autour d’idées – liberté, égalité, races, classes –, résolument tournées contre le passé. Et le soldat, un gendarme qu’on charge de missions, aux goûts de droits de l’homme, à travers un discours permanent sur les« valeurs » qui confond sciemment le militaire et le militant. La morale indiscutable du Progrès a remplacé Dieu.

Et Redeker s’étend à juste titre sur les plaies qui ont donné naissance à cette gangrène, comme la victimocratie, l’impératif de la repentance, ce masque de la haine de soi, la féminisation des hommes, l’esquintement de l’altérité sexuelle avec, au bout, l’horizon de l’indifférencié. Redeker voit un nouvel être émerger de ce XXIe siècle, l’Indifférent, uniquement préoccupé de sa réussite personnelle et de son épanouissement hédoniste, sans regard sur ce qui l’a précédé. Un grand mouvement « secoue l’histoire depuis plusieurs décennies : l’avancée du vide ». Mais ce dangereux refoulement de la guerre, ce « sous-rousseauisme » malvenu, se laissera peut-être surprendre un matin ? Que pensera alors le soldat impensé ?

Le soldat impossible, Robert Redeker, éditions Pierre-Guillaume de Roux

Lu dans Présent

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