L’un des plus impressionnants de ces logiciels, Sim Sensei, a donné vie à un avatar qui ressemble un peu à Jennifer Melfi, la psy du truand Tony Soprano dans la série «Les Sopranos»: brune, les cheveux courts, twin set coloré, cette thérapeute virtuelle est confortablement installée dans un gros fauteuil, toute à votre écoute tandis que vous répondez, de l’autre côté de votre écran, à ses questions d’ordre plutôt intimes: «Comment allez-vous aujourd’hui?» ou «Quel est le meilleur souvenir que vous pourriez me raconter?»
Habitée d’algorithmes
En réalité, ce qui intéresse cette image agréable qui communique avec vous est moins le sens de vos réponses que les millions de gestes, mimiques faciales, signes corporels que vous produisez à votre insu et qu’elle décrypte avec la vitesse et l’efficacité des algorithmes qui l’habitent. Car Sim Sensei, système d’entretien psychologique avec un être humain virtuel, est capable d’identifier à vitesse grand V les signes d’angoisse ou de dépression potentielles de celui qui «le consulte». Il appartient donc bien au champ de la médecine numérique et de la psychiatrie virtuelle, dont les développements s’appuient sur la certitude que les logiciels sont capables, par la collecte de données observables, de «profiler» un individu et, ainsi, de sonder son âme. Une sorte d’extension mécanisée des thérapies comportementales.
Développé par une équipe de chercheurs américains menée par Louis-Philippe Morency et Albert Rizzo à l’University of Southern California (Institute for Creative Technologies), ce logiciel à l’état de prototype n’est pas encore utilisé en milieu médical ou thérapeutique. Cependant, l’un de ses concepteurs confiait à l’Observatoire Net Explo – qui a fait de Sim Sensei l’un des 10 lauréats de son palmarès annuel des grandes innovations numériques – combien cet avatar «fait du bien» à ceux qui interagissent avec lui: «Le simple fait de lui parler les amène à se sentir mieux, comme s’ils parlaient à leur chien. Et les personnes s’ouvrent beaucoup, se confient à la machine.»
La synthèse des indicateurs repérés chez le «patient» lors de ces interactions (mesures objectives des comportements verbaux et non verbaux) permet non seulement au corps médical de fonder son diagnostic sur une base plus globale, mais devrait à terme participer à la thérapie. Car avec tant de données collectées, on pourra savoir si le patient va mieux ou pas tout au long de son traitement.
«Détecteur scientifique d’angoisse»
Repérer, détecter, c’est aussi l’objectif d’un autre logiciel primé par Net Explo et mis au point par des étudiants en Allemagne, Soma Analytics. Ici, l’application est présentée comme un «détecteur scientifique d’angoisse», un dispositif complet de tracking, diagnostic et conseil.
Au départ, les concepteurs l’ont conçu pour que des entreprises puissent prévenir le burn-out chez leurs employés. Timbre de la voix, sommeil, fautes de frappe sur un clavier d’ordinateur… Autant d’éléments qui sont pris en compte par le logiciel tandis que l’actif travaille. Si une dépression est suspectée, l’entreprise peut être alertée et mettre en place un programme de mieux-être au travail.
Appli de coaching
Mais c’est aussi un usage individuel qui est visé: en téléchargeant Soma Analytics sur son smartphone, chacun pourra évaluer son état psychique et sanitaire du moment. Une appli qui rejoint le nombre grandissant d’appareils permettant d’être «coaché» via des programmes d’hygiène de vie, de motivation au sport, à une «bonne» alimentation… Pour Johann Suber, l’un des concepteurs de cette appli, c’est la connaissance de soi de l’utilisateur qui devrait s’en trouver grandie: «Avec Soma Analytics, on apprend davantage sur ce qui nous paraissait évident, comme l’impact des émotions sur notre parole, nos habitudes de sommeil, la manière dont nos compétences cognitives sont affectées par le stress…»
Reste à savoir si ces psys virtuels visent d’abord la santé de leurs utilisateurs… ou le «cracking profiling*» intime de ceux-ci à destination d’une institution cherchant toujours, quelle qu’elle soit, à mieux contrôler ses membres.
* Profilage suivi