Léon Daudet : un bretteur des Lettres

Que Présent parle (en bien !) de Léon Daudet ne surprendra personne. Que Le Figaro l’évoque sans les pincettes habituelles quand il s’agit d’un auteur « à la droite de la droite » est déjà remarquable (voir Thierry Clermont dans le numéro du 11 mai). Mais que Le Canard enchaîné ne se déchaîne pas sur lui en recensant le gros tome que constitue la somme d’Ecrivains et artistes rééditée chez Séguier, voilà qui est époustouflant.

Frédéric Pagès, dans Le Canard (numéro du 17 mai), explique l’absence d’horreurs dans le volume par le fait que l’éditeur a dû « élaguer » le texte : mais non, c’est Léon Daudet lui-même qui, durant son séjour à Bruxelles où il s’était réfugié avec sa famille à la suite de son évasion de la Santé, en 1927 (il y avait été incarcéré après une cascade de procès au sujet de la mort de son fils Philippe, dans laquelle il voyait un assassinat), a repris divers articles parus dans L’Action Française pour les faire paraître en volumes. Huit tomes ont été publiés à la fin des années 20 aux éditions du Capitole, illustrés par quelques beaux portraits des auteurs ou peintres préférés de Daudet : Shakespeare, Rodin, Stevenson, Kessel…

Un grand découvreur

Pas de « bouquet nauséabond » auquel s’attendait Pagès, donc, mais « une plume féroce et un goût impeccable » qu’il salue. Tous les journalistes qui parlent de cette réédition sont obligés de convenir que Daudet n’est pas sectaire. Ses coups de cœur sont bien placés : il défend Proust, dont il est le « découvreur », et fait campagne à l’académie Goncourt pour lui obtenir le prix. Il encense le premier livre de Morand, celui de Bernanos, remarque Béraud. Il apprécie Kessel et, plus curieux encore, Gide. On sait qu’il se battit pour Céline et son Voyage, paru en 1932. Il remplit enfin merveilleusement ce devoir pour tout critique de repérer les « nouvelles boutures » prometteuses et de s’en réjouir.

Il ne s’en tient d’ailleurs pas à la littérature française. Il apprécie grandement Tolstoï, Dostoïevski, Meredith, Stevenson, Henry James (qu’il connaissait bien), sans oublier Shakespeare, bien entendu, qui reste avec Rabelais l’un de ses écrivains favoris. Il leur a consacré, à l’un et à l’autre, deux « romans » qui sont en fait des ouvrages de critique littéraire d’un nouveau genre, rendant vivants et proches du lecteur ces deux génies littéraires. Brasillach reprendra un peu cette démarche dans son Corneille et surtout dans son admirable Virgile.

La littérature se taille la part du lion dans ce volume, mais Daudet évoque également des peintres, des comédiens, des metteurs en scène et même, dans les dernières années, des films : rien n’échappe à sa curiosité. Il s’intéresse à la genèse de l’ouvrage et pas seulement au résultat, prenant en compte le cheminement qui aboutit au livre ou au tableau, la réunion, dans l’esprit du créateur, des divers éléments qui donneront naissance à son œuvre. Il s’efforce de reconstruire les individualités à partir des éléments donnés par le texte lui-même.

Un tempérament attachant et tumultueux

Lire Daudet, vivre en sa compagnie le temps de la lecture, en apprend beaucoup sur le tempérament de ce compagnon plein de culture et de vie. Prenons-le à son propre jeu et imaginons quelques traits de caractère à partir de remarques choisies : il avoue préférer « un effort d’émancipation, même absurde (anarchie) à une réglementation prohibitive ». Il suppose que les auteurs placés l’un à côté de l’autre dans nos bibliothèques échangent leurs impressions la nuit, c’est pourquoi il recommande de mettre Raoul Ponchon, « ce petit-fils de Villon », près de La Fontaine… Sa formation de médecin l’a marqué, il fait souvent allusion à ce qu’il nomme « l’hérédo », le poids de l’hérédité, pesant parfois, mais dont on arrive à se libérer. Surtout, ce n’est pas par hasard qu’il cite une phrase de Sénac de Meilhan affirmant « qu’on n’aime vraiment que les auteurs avec lesquels on aurait eu – morts – ou l’on aurait – vivants – plaisir à souper ». A propos de Léonard de Vinci (car Daudet a un faible pour la Renaissance), il regrette : « Je voudrais savoir comment il parlait, comment il riait, comment il mangeait et buvait devant le soleil et la chandelle, s’il occupait les autres de son rêve immense et changeant ou s’il le gardait jalousement pour soi. » Comment et où lire Ronsard ? « Ronsard doit être lu en plein air. Il doit être lu sur une terrasse, ou un chemin dominant la Loire, ou sur la grève même de la Loire et, de préférence, au soleil couchant. »

Rendons grâce aux éditions Séguier de cette réédition bienvenue : que les lecteurs redécouvrent cet homme plein de fougue et de goût, qui dit sans détours ses enthousiasmes (et ses détestations). Le portrait qui le montre jeune et figure en couverture est fort bien choisi lui aussi. On voit souvent Daudet plus âgé, à son bureau de l’Action française ou défilant avec les camelots. Mais il a été un jeune homme séduisant, grandi dans le milieu littéraire qui entourait Alphonse Daudet et, plus tard, Victor Hugo, dont il épousa (en premières noces) la petite-fille. S’il connaissait bien le milieu des « écrivains et artistes », il sut toujours en parler le plus librement du monde. Il demeure non seulement un bon compagnon, mais un guide sûr. En même temps qu’à une découverte de la littérature, c’est à une découverte de la vie qu’il nous invite, et donc à une découverte de nous-mêmes. Voilà bien le plus subtil enseignement, dispensé avec une allégresse communicative.

  • Léon Daudet, Ecrivains et artistes, éditions Séguier, 848 pages, 28 euros.
  • Les illustrations sont extraites de la première édition d’Ecrivains et artistes, au Capitole.

« Emouvoir nos lecteurs, les faire rire, les faire penser. Cette tâche accomplie nous pourrons, en toute confiance, remettre nos âmes, frémissantes ou apaisées, entre les mains du divin Créateur. »

Léon Daudet, dernières lignes du Bréviaire du journalisme

Présent

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