Est-ce parce qu’il soutient la filière agricole et ne veut pas s’aliéner les viticulteurs ? Ou parce qu’il est, lui-même, un grand amateur de vin ? En tout cas, Didier Guillaume, l’actuel ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, ne tarit pas d’éloges sur la boisson chère à Bacchus, provoquant l’ire du ministre de la Santé, qui estime qu’« on ne peut pas banaliser la consommation d’alcool ».
« Le vin n’est pas un alcool comme un autre », lui rétorque Didier Guillaume, ce vendredi 12 avril, au micro de Jean-Jacques Bourdin. En janvier, il avait confié au même journaliste : « Je n’ai jamais vu un jeune qui sort de boîte de nuit saoul car il a bu du côtes-du-rhône, du crozes-hermitage, du bordeaux ou du costières-de-nîmes. » À croire, pour qu’il ait acquis cette expérience, qu’il lui arrive de fréquenter les boîtes pour décompresser, comme son collègue de l’Intérieur.
« Le vin est un produit du bonheur », aime-t-il à dire. « C’est la réalité dans notre pays, il y a une tradition culturelle […] de viticulture pour le vin, un peu moins par exemple pour le whisky ou la vodka », l’entend-on dire aussi (les shots de vodka, c’est pour Castaner ?). Il semble, d’ailleurs, avoir l’aval de notre Président, qui avait confié, l’an dernier, qu’il n’y aurait pas de durcissement de la loi Évin et qu’il buvait du vin « le midi et le soir » (les caves de l’Élysée renferment, paraît-il, un véritable trésor !). Et Agnès Buzyn de commenter : « J’imagine qu’il fait un choix entre les intérêts de l’agriculture française et les intérêts de santé publique. »
Alors, faut-il donner raison au ministre de l’Agriculture ou au ministre de la Santé ? Ni à l’un ni à l’autre, ou aux deux à la fois. Certes, l’alcool est responsable de la mort de milliers de personnes – sans compter les accidents de la route. On pourrait énumérer la liste des maux qu’il provoque (cancers, maladies cardiovasculaires et digestives, maladies du système nerveux et troubles psychiques, etc.). Mais tout est une question de fréquence, de proportion et de qualité. Dans ce domaine aussi, il existe des inégalités.
Didier Guillaume déclare, à juste titre, que le vin est une tradition culturelle, mais des repas trop arrosés – fût-ce avec un excellent cru (un bon saint-émilion diffère d’un gros rouge qui tache) – ont des conséquences sur la mémoire et la concentration. On apprendra peut-être un jour que le Conseil des ministres a lieu le matin pour s’assurer que tous les participants soient à jeun. Encore que les vrais alcooliques n’aient pas d’heure pour s’adonner à leur vice.
Mais le plus incongru, dans cette querelle, c’est que le principe de précaution, mis en avant contre l’alcool, n’est pas toujours aussi soigneusement appliqué pour d’autres substances, également nocives, voire davantage. Ne parlons pas de drogues qui seraient, dans certains milieux, y compris politiques, un puissant stimulant intellectuel, mais du simple cannabis, à la portée de toutes les bourses. Agnès Buzyn a fait elle-même un pas dans ce sens en indiquant qu’elle n’excluait pas son usage comme médicament.
De leur côté, des députés de la majorité LREM ont récemment demandé la création d’une mission d’information sur l’usage « bien-être » du cannabis, dont la culture offrirait « des débouchés considérables » pour les agriculteurs français. Comme quoi, pour certains produits, les intérêts économiques sont pris en compte. Il est vrai que les partisans de la légalisation arguent que tout le monde, ou presque, fume des joints pour demander la légalisation du cannabis. Comme s’il y avait de bonnes et de mauvaises addictions !
Philippe Kerlouan – Boulevard Voltaire