Depuis plus d’un siècle et les travaux d’André Siegfried, les politistes s’interrogent sur les racines de la droite. La question n’est donc pas une terra incognita qu’il faudrait défricher avant de cartographier. Mais, pour mieux comprendre l’évolution de la droite, un bon guide est nécessaire. C’est ce que propose Gilles Richard, professeur à l’université Rennes 2 et auteur d’un volumineux essai : Histoire des droites en France (Perrin). Droites au pluriel ? Cela n’est pas sans rappeler l’œuvre de feu René Rémond (Les Droites en France ; Les Droites aujourd’hui).
Le récit de Gilles Richard débute en 1815, alors que la France a connu la monarchie parlementaire, la Terreur, le césarisme et s’apprête à basculer dans la Restauration. Ce bouillonnement idéologique et intellectuel est le terreau fertile sur lequel les droites (définies par l’auteur comme les oppositions au républicanisme) est née. Pendant un siècle, la question du régime politique et de « la grande Révolution » sera un enjeu politique crucial. Une preuve ? Lors des débats relatifs au Concordat, Clémenceau exhorte les Français à choisir entre « la France de Rome ou la France de la Révolution ». Ce à quoi Charles Maurras répond par son fameux éloge de la tradition et de la romanité : « Je suis Romain (…) et je n’éprouve jamais de difficultés à me sentir ainsi Romain, les intérêts du catholicisme romain et de la France se confondant presque toujours, ne se contredisant nulle part. » Mais la plupart des droites finiront par avaliser la forme républicaine du gouvernement.
Réalité du sinistrisme
Droite et gauche ne peuvent se comprendre qu’en les observant toutes deux, dos à dos, tant il est vrai que l’évolution d’un camp aura des répercussions sur le positionnement de l’autre. Difficile, alors, de ne pas songer au « sinistrime » mis en lumière par Thibaudet : cette colonisation de la droite par les idées de gauche, et notamment par le libéralisme. Aussi ne sera-t-on pas surpris, dans cet ouvrage, de trouver nombre de pages consacrées à la mutation des gauches, qu’il s’agisse de la consolidation progressive du camp républicain à la fin des années 1870 ou encore de l’émergence de la question ouvrière.
Bref, l’histoire retracée par Gilles Richard est en mouvement. Pour l’auteur, il n’existerait pas de tempérament « de droite » figé une bonne fois pour toutes. Cela permet d’appréhender l’éclatement des diverses droites à chaque « moment » politique depuis la chute de Napoléon Bonaparte.
Dans un ouvrage copieux (600 pages), l’auteur a eu la bonne idée de rythmer son récit par de courts chapitres conclusifs : « Etre de droite en 1815 », « Etre de droite en 1914 », « Etre de droite en 1944 », «… en 1974 ». On mesure ainsi le fossé entre les sensibilités de droite : entre nationalisme et giscardisme, par exemple ! C’est là l’une des originalités de l’ouvrage, à laquelle il faut ajouter l’érudition de l’auteur sur des mouvements méconnus, qu’il s’agisse de l’agrarisme des années trente ou du CNIP d’après-guerre. Autre avantage : cet essai est actualisé et dénombre aujourd’hui huit familles de droite ayant existé depuis 1815 : outre les trois droites légitimiste, orléaniste et bonapartiste, on trouve républicains libéraux, nationalistes, démocrates-chrétiens, agrariens et gaullistes. L’auteur prend acte de l’hégémonie des droites aujourd’hui mais aussi de leur éclatement. Il prend aussi en compte l’émergence du FN, « premier parti de France », et l’enracinement de la Manif pour tous.
Cette somme instructive n’est toutefois pas sans défaut : l’auteur sombre parfois dans la caricature ou l’amalgame, voyant dans la critique de la loi Veil (formulée par votre journal) un relent de l’antisémitisme des années trente…
Mais surtout, Gilles Richard demeure tributaire de la grille d’analyse forgée par René Rémond. Cette approche situationnelle revient à considérer comme étant « de droite » ce qui se situe géographiquement « à droite » sur l’échiquier politique. Or, si le légitimisme est bel et bien une droite, orléanisme et bonapartisme sont plutôt, quant à leur contenu, des centres, des synthèses. Cela est aussi vrai pour les familles plus récentes (libéraux). On pourra donc lui préférer, à l’instar d’un Frédéric Bluche, une approche programmatique de la droite. A moins de considérer, comme Jean Madiran, que la droite est « une invention de la gauche » et que « hors de la gauche, il n’y a que le christianisme » (La Droite et la gauche, NEL, 1977).
- Gilles Richard, Histoire des droites en France, Perrin, 592 pages.