Richie de Raphaëlle Bacquet ou les déviances de Richard Descoings…

La journaliste du Monde, Raphaëlle Bacqué, consacre un livre à Richard Descoings, ancien directeur de Sciences-Po, retrouvé mort dans sa chambre d’hôtel à New York en 2012. L’histoire peut se raconter de multiples façons, comme pour chacun d’entre nous. Dans son cas, le cœur ­névralgique serait cependant toujours le même : il s’est rejoint puis il s’est séparé. La journaliste du Monde Raphaëlle Bacqué consacre un récit à l’ancien directeur de Sciences-Po Richard Descoings. Elle avance sur la corde raide des devoirs et des droits de l’écrivain. Il mélangeait tout ; elle doit tout trier.

Raphaëlle Bacqué se confronte, comme jamais, à la problématique du public et du privé. Jusqu’où aller dans le privé, alors qu’il affichait son homosexualité? Elle n’est pas tenue de s’arrêter avant lui. Que croire de l’image publique, alors que sa politique de cours rémunérés muselait le Tout-Paris? Elle rend hommage au réformateur audacieux et s’attache aux faits. L’auteur du Dernier Mort de Mitterrand a intitulé son enquête fouillée Richie*, ainsi que le surnommaient ses étudiants, car il s’est si peu appartenu au faîte de la notoriété.

Une radioscopie du pouvoir gay
Richie est aussi une radioscopie du pouvoir gay en France. Le récit fera surtout parler pour ça : Raphaëlle Bacqué brise les tabous en exposant au grand jour les réseaux homosexuels, racontant connexions, lieux de pouvoir, rencontres. Richard Descoings et Guillaume Pepy louent ensemble un appartement près de la place de la Madeleine, où se retrouve toute une génération de hauts fonctionnaires homosexuels venant de la Cour des comptes, du Quai d’Orsay, du Conseil d’État.

Un extrait :

“La vie avec Guillaume Pepy a pris une autre tournure. Les jeunes chargés de mission, les secrétaires entendent parfois à travers la cloison des bureaux leurs violentes disputes. Jouant avec les cœurs, Richie est sans cesse happé par d’autres conquêtes, par des orgies d’alcool. A la SNCF, Guillaume s’assomme de travail, enchaîne des longueurs de piscine le matin avant de plonger dans les réunions de travail et les négociations avec les cheminots. Personne ne se doute de l’enfer qu’il vit. ‘Quand je m’endors, j’entends les trains’, dit-il en souriant à ses collaborateurs.

Même les compagnons des premières années ont fini par s’éloigner. Christophe Chantepy a pris peu à peu ses distances. ‘Che-Che’ en avait assez des dîners annulés et du vague mépris qu’il sentait parfois chez son ami. Olivier Challan Belval s’est fâché tout de go. Il avait pensé donner un coup de pouce déterminant à Richard en plaidant sa nomination à Sciences Po auprès de Philippe Séguin. Il a mal supporté que ce dernier ne lui ait jamais dit merci et, devant son arrogante indifférence, a claqué la porte sur leur amitié passée.

Richard a une manière de marcher au bord de l’abîme, comme s’il voulait toujours en frôler les limites, qui épuise son entourage. C’est un homme qui aime entraîner les autres dans les incendies qu’il provoque. Il fume trop, boit plus que de raison et replonge parfois dans ses anciens démons, cocaïne et ecstasy, qui lui donnent l’illusion de pouvoir vaincre le sommeil et l’adversité.

Une journaliste l’a croisé rue du Faubourg-Saint-Antoine au petit matin, pieds nus, la chemise déchirée, clamant : ‘Je sors de boîte de nuit!’ Son amie Christine Lagarde, après un week-end à Port-Cros chez des amis communs, où elle l’a vu ivre à tomber par terre, a confié à un proche : ‘Il faut que nous lui disions d’arrêter, sinon il ne durera pas très longtemps.’

Même le directeur-adjoint Guillaume Piketty s’inquiète lorsqu’il le trouve fébrile, le matin, le front moite et les mains tremblantes au-dessus de sa dixième tasse de café. Piketty convoque parfois un délégué syndical trop revendicatif pour le prier de ménager celui qu’il appelle ‘le Grand’. ‘Fais attention, il est fragile, tu sais. Et c’est la seule chance que nous ayons de faire changer cette maison…’

Mais ‘le Grand’ se moque de ces précautions. C’est un séducteur qui jouit de faire souffrir ceux qui l’aiment. Il provoque, cherche à subvertir, à ‘déniaiser’ les garçons qui l’entourent. Les jeunes chargés de mission du directeur ont hérité d’un surnom glaçant : ‘les gitons’.

S’il n’était pas si inventif, s’il n’avait une intelligence si vive, un charme si évident, personne ne le suivrait. ‘Pour être innovant, il faut être déviant!’ clame-t-il. Mais sa lumière brûle et consume les cœurs autour de lui. Le professeur Jean Leca, spécialiste de philosophie politique, a décrété tout haut : ‘C’est un satrape, il terminera mal!’ Mais Nadia comme les autres a été happée par son charme vénéneux.”

* Richie, par Raphaëlle Bacqué, Grasset, 300 pages, 18 euros. 

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