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Paul Léautaud (1872-1956) ne cessa de nourrir en lui l’enfant d’autrefois. Planté là par sa mère dès sa naissance, il apprit très vite à ne compter que sur lui-même, à écouter, regarder, observer… et à écrire.
En 1893, il entame la rédaction du Journal littéraire auquel il travailla toute sa vie. Il y notait avec une égale acuité ses souvenirs, ses expériences, ses lectures et ses amours.
Indifférent à la gloire, volontairement en marge il avait trouvé un ermitage à sa mesure. Une ” baraque ” à Fontenay-aux-Roses où il vivait seul avec ses bêtes. Dans le grand jardin touffu, tout à fait à l’abandon, reposaient les trois cents chats et la centaine de chiens qu’il avait recueillis.
L’écrivain passait le plus clair de son temps dans sa ” pièce préférée “, son cabinet de travail, et dans sa chambre. Le mobilier exposé ne donne qu’un aperçu du désordre indescriptible et du délabrement de sa retraite. Une puissante odeur de vieux livres, de papiers poussiéreux, de chat, d’eau de javel, de marc de café et de tricot mité y régnait. Des piles de livres jamais ouverts, “ceux que m’envoient mes confrères”, servaient accessoirement aux chiens pour se faire les dents. La table de travail que nous voyons ici, le fauteuil de velours au siège un peu défoncé, la chaise au cannage fatigué constituaient l’essentiel de son décor. Lorsqu’il fallait recevoir un visiteur, c’était toute une affaire de le faire asseoir. Au mur, quelques gravures licencieuses du XVIIIe siècle reçues en cadeau.
De l’aveu même de Léautaud, la chambre à coucher, plutôt sommaire, avait l’air d’une pièce dans laquelle on a emménagé le matin. Sur l’antique sommier le matelas avait tout le moelleux d’une planche : Léautaud s’en contentait. Les chats aussi. Dans l’armoire normande plus d’une chatte vint mettre bas… Sur la table de travail un bougeoir “car l’électricité me plaît si peu que je me suis offert une provision de bougies de la ciergerie Sainte-Thérèse à Lisieux. Trois boîtes de 45 bougies, 144 francs la boîte…”
Au pied du lit, un pot de chambre dont l ‘écrivain parlait toujours avec satisfaction : “Je me suis acheté un vase de nuit en porcelaine de Limoges. De petite taille, il est charmant.”
Un cadre pour le moins ascétique ! Mais en dehors de la présence silencieuse et attentive de ses animaux et du Journal écrit en leur compagnie, rien ne comptait pour Léautaud. “J’aime écrire. De tous les plaisirs que j’ai essayés : promenade, conversation, amour, c’est celui le plus vif. Les quatre murs de ma chambre, ma table de travail, deux bougies allumées, une plume, de l’encre et du papier : l’univers n’existe plus.”
Le personnage était à la hauteur du cadre. Sous un bonnet de laine grisâtre enfoncé à mi-front, le visage maigre et plissé était saupoudré de talc à cause des entailles dues au rasoir. Derrière une petite paire de lunettes ovales, le regard brillait de malice. Vêtu la plupart du temps d’un bleu de travail, d’un gilet de laine sous une veste de toile grise très usée, un foulard de tulle blanc – plutôt sale – noué autour du cou, de vieilles pantoufles aux pieds, il tenait du clochard et du poète. Son pardessus et son éternel cabas sentaient toujours un peu la viande, le bourguignon premier choix coupé en morceaux. En effet, Léautaud secourait tous les animaux en détresse qu’il rencontrait. En 1956, trop âgé pour vivre seul, malade Léautaud doit quitter Fontenay, Loulou et le gros Jaunet, ses derniers chats.
Le 15 février, il écrit l’ultime page de son Journal et s’éteint le 22 en disant : “Maintenant, foutez-moi la paix.”
https://youtu.be/-RVUlkxnJ_o