«Cette loi anti-casseurs donne à l’administration le pouvoir de décider à l’avance qui a le droit ou non de manifester !»

La loi anti-casseurs votée par l’Assemblée nationale est-elle inconstitutionnelle ? C’est Emmanuel Macron lui-même qui a saisi « les sages » de cette question. Pour Maître Frédéric Pichon, avocat de nombreux gilets jaunes, elle est, en tout cas, « liberticide », créée sur mesure, et elle instaure une sorte d’état d’urgence déguisé.

 

Le projet de loi anti casseur a été voté. Il va maintenant passer sous le regard du Conseil Constitutionnel.
Après tous ces allers et retours entre l’Assemblée et le Sénat, que reste-t-il de ce projet de loi ?
Est-il autant liberticide que ce qui avait été annoncé au départ ?

À mon sens, plusieurs passages posent réellement problème. Dans le contexte actuel de contestation des gilets jaunes, on voit bien que ces lois ont été créées sur mesure.
La saisie du Conseil Constitutionnel par Emmanuel Macron se veut un acte de précaution. Rappelons que la France a été rappelée à l’ordre par l’ONU, par le défenseur des droits et par le Conseil européen. Ce n’est pas rien.
Voici quelques points potentiellement liberticides.
Le plus important est la restriction de manifester. Elle peut être décidée par voix administrative. Il existe des interdictions judiciaires prononcées pour des manifestants qui ont déjà été condamnés, dans le cadre d’une procédure contradictoire. Ils peuvent être punis d’une peine d’interdiction de manifester pendant un, deux ou trois ans. Là, c’est une interdiction administrative. Sur la base d’informations qui ne sont pas forcément vérifiables, le préfet peut décider d’interdire à telle ou telle personne de manifester à tel ou tel endroit, sans qu’elle n’ait été condamnée par la justice. Seul le préfet décide de la notion de trouble à l’ordre public. On voit bien qu’aujourd’hui, il y a une dérive dans l’appréciation du trouble de l’ordre public. L’arrêt Benjamin des années 30 sur la liberté de réunion était assez libéral. De fil en aiguille, on restreint de plus en plus les libertés de manifestation et d’expression.
Le second est la possibilité de contrôler les manifestants ou les véhicules aux abords des manifestations. J’entends bien que certaines précautions peuvent s’imposer, mais les policiers disposent déjà de moyens suffisants dès lors qu’ils constatent qu’une personne a un comportement suspect ou qui est sur le point de commettre une infraction. Ils ont la possibilité d’agir dans le cadre de la flagrance. Là, il s’agit de donner la possibilité aux forces de l’ordre de contrôler, y compris les manifestants dans une manifestation parfaitement légale et déclarée. Cela peut être un moyen d’intimidation supplémentaire. Les gens vont avoir peur de manifester. Les policiers vont débarquer n’importe où, contrôler n’importe qui, alors qu’ils sont dans l’exercice d’un droit fondamental constitutionnellement protégé.

Cette loi est-elle le retour de l’état d’urgence déguisé ?

C’est un état d’urgence permanent. Le préfet remplace le juge. Dans ce cas, il n’y a plus de procédure contradictoire. Il existe certes des voies de recours. Mais si le préfet prend une décision au dernier moment et qu’il la notifie sur les lieux de la manifestation, il sera certes possible de déposer un recours. Celui-ci sera traité un an après et, en attendant, la liberté de la personne concernée aura été totalement brimée.

Y a-t-il une chance pour que les sages retoquent cette loi ?

Je n’ai plus tellement confiance au Conseil Constitutionnel. Alain Juppé y a quand même été nommé récemment…J’ai plus que des doutes.
Sur un plan strictement juridique, il y a certainement énormément de choses à dire sur le caractère liberticide de ces dispositions.
Les policiers disposent déjà de moyens suffisants pour pouvoir interpeller les gens dans le cadre de ce qu’on appelle la flagrance.
On donne des armes supplémentaires qui permettent de contrôler et de décider à l’avance qui peut manifester ou non sur la base d’informations absolument invérifiables.

Boulevard Voltaire

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