Les naufragés de La Méduse de Jacques-Olivier Boudon

Au-delà du tableau de Géricault, le drame atroce du radeau de « La Méduse » exprime le trouble d’une France à peine remise de l’Empire et loin d’être rendue à la royauté. Historien, Jacques-Olivier Boudon préside l’Institut Napoléon. Il est également directeur scientifique de la Bibliothèque Marmottan, et enseigne à la Sorbonne. S’il a choisi de revenir sur un épisode historique apparemment connu, celui du radeau de La Méduse, c’est pour aller au-delà de l’image d’Épinal… et du tableau bien connu de Théodore Géricault.

Car aux yeux de Jacques-Olivier Boudon, l’échouement, le 2 juillet 1816, de la frégate La Méduse sur un banc de sable au large de la Mauritanie, puis l’abandon de 150 des 400 passagers sur un radeau, cristallise à lui seul plusieurs thèmes contemporains : la détresse des hommes en mer, la question de la survie et des moyens extrêmes auxquels on peut recourir, mais aussi, la crise politique que vit à la France, un an après Waterloo, à la charnière de l’Empire et de la Restauration.

En effet, les naufragés s’étant entre-tués, puis cannibalisés, quinze seulement survivront. Leur récit bouleversa et divisa le pays. Le régime de la Restauration, tout juste installé, en vacilla. Beaucoup ont vu dans ce naufrage celui de cette monarchie à peine restaurée.

À bord du radeau se joua un nouvel épisode de l’éternelle lutte des classes qui taraude la France. Entre officiers et matelots, militaires et civils, royalistes et partisans de l’Empire, le sang a coulé, les blessures avivées par le sel de l’océan et le soleil du Sahara.

Dans un style précis et fort documenté, Jacques-Olivier Boudon fait revivre, heure par heure, la tragédie, resituant précisément les trajectoires personnelles mais aussi idéologiques de chaque protagoniste.

On y entend les violences refoulées depuis le début des guerres de la Révolution et de l’Empire. L’ombre de Napoléon plane derrière ceux qui mettent en cause le régime. L’incurie du capitaine, Hugues Duroy de Chaumareys, fut comprise comme étant celle de la royauté restaurée.

L’historien réussit, au-delà d’un reportage quasiment pris sur le vif, à démonter les mécanismes qui gouvernent une France échouée, tentée par l’échappée sur un radeau mortifère.

• Les naufragés de La Méduse, de Jacques-Olivier Boudon, Belin, 336 p., 23 euros

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