On les croyait définitivement perdus dans la mer des 40 000 cercueils anonymes du vieux cimetière désaffecté de St James, derrière la gare d’Euston à Londres. Certains pensaient qu’ils avaient été ensevelis pour jamais sous le quai 4 ou le quai 12 lors de la construction de la gare. Lorsque la statue du grand explorateur Matthew Flinders fut dévoilée dans cette même gare en 2014, l’affaire semblait entendue, et les restes du grand homme avaient été consignés aux oubliettes.
Mais, comme le disent les Anglais, never say never (ne jamais dire jamais). Aiguille dans une botte de foin, un cercueil portant une plaque de plomb attira l’attention des archéologues chargés des fouilles dans le vieux cimetière, précédant la construction d’une ligne grande vitesse Londres-Euston – Birmingham ; sur cette plaque figurait le nom du capitaine Matthew Flinders (1774-1814), premier explorateur à avoir navigué tout autour du continent australien, la dépouille du grand homme avait été enfin retrouvée.
Flinders naquit dans le comté de Lincoln en Angleterre au sein d’une famille de médecins ; c’est, selon ses dires, la lecture du Robinson Crusoé de Daniel Defoe qui lui donna l’envie de la mer et de l’exploration. En 1790, à l’âge de 15 ans, il s’engage dans la Royal Navy. Il y sera à bonne école puisqu’il fit partie en 1792, sur le HMS Providence, de la seconde expédition du capitaine Bligh – précédemment, capitaine contesté du célèbre HMS Bounty – pour transporter de l’arbre à pain de Tahiti aux Caraïbes. Si le capitaine Bligh avait peu de talent dans le maniement des hommes et d’un équipage, c’était en revanche un excellent navigateur et cartographier reconnu par tous, des matières qu’il enseigna au jeune Flinders.
Flinders effectua trois voyages sur les côtes australiennes entre 1791 et 1801 ; c’est au cours du dernier qu’il fut le premier navigateur à faire le tour complet du continent, et à le nommer Australie. Pour ce voyage, effectué sur le HMS Investigator, Flinders avait fait tous les préparatifs pour emmener à bord son épouse, une pratique absolument interdite par la Navy, qui faillit lui coûter le commandement de l’expédition. Flinders dut laisser sa jeune épouse au port, il ne la reverra que dix ans plus tard.
Sur le chemin du retour de cette circumnavigation, en 1803, Flinders fut forcé de faire une escale technique à l’Isle de France (aujourd’hui, l’île Maurice). La France et l’Angleterre étaient depuis peu en guerre ; Flinders fut arrêté par le gouverneur Decaen et maintenu sur l’île en résidence surveillée jusqu’en 1810.
Si la notoriété de Flinders n’atteint pas outre-Manche celle de James Cook, il est en revanche considéré comme un véritable héros en Australie ; une chaîne de montagnes, deux parcs nationaux, plusieurs universités et une banlieue de Melbourne portent son nom. Flinders n’avait pu emmener son épouse, mais il voyageait en compagnie de son chat favori, Trim, qui fut probablement dévoré par des esclaves durant sa captivité. Sur la plupart des statues de Flinders en Australie, et sur celle de la gare d’Euston, Trim figure aux côtés de son maître.
Photo : Flinders et son chat Trim, auquel il consacra un poème : « Le meilleur et le plus illustre de sa race / Le plus affectueux des amis / Le plus fidèle des serviteurs / Et la meilleure des créatures / Il fit le tour du monde… »