La Fondation Custodia s’est donné pour mission de présenter, exposition après exposition, la diversité des œuvres sur papier, qu’elles soient dessins, peintures ou estampes. La sélection de 200 dessins parmi les 27 000 conservés au musée Pouchkine (Moscou) est du « sur mesure » et permet de parcourir l’histoire du dessin européen, du XVe au XXe siècle, en présentant pour l’essentiel des œuvres jamais vues en France.
Dessins anciens
La pratique de la plume par Schongauer se ressent de l’influence de la gravure qu’il pratiquait. Sa Tête d’homme au turban (années 1460-1470), qui faisait partie d’une suite de « personnages orientaux et bourreaux », avec sa variété de coups de plume, influença énormément Dürer. On voit celui-ci dessiner un ensemble de sept Putti danseurs et musiciens (1495) en reprenant la façon de modeler de Schongauer. Dürer voyageait alors en Italie, mais ses putti sont plus germaniques qu’aériens. Ce travail à la plume se transmet à un de ses élèves, Hans Sebald Beham dont une Vierge à l’Enfant (1520) reprend les figures centrales d’une gravure de Dürer.
C’est une tout autre façon d’utiliser la plume qu’emploie Baccio Bandinelli (Le Christ de pitié, c. 1550). Il modèle moins qu’il n’ombre ce projet de décor sculpté pour l’autel de Santa Maria del Fiore, tout en griffures : ce rival de Michel-Ange avait un tempérament bouillant. Le Cavalier d’Arpin était plus calme mais son Etude pour les collecteurs d’impôts est vigoureuse (pierre noire et sanguine, c. 1592). Ces personnages devaient apparaître dans La Vocation de saint Matthieu à Saint-Louis des Français, mais on sait que le Cavalier d’Arpin n’acheva pas ce chantier qui fut repris, et c’est heureux, par son élève Le Caravage.
Parmi les peintres du Nord, je retiens une Vieille femme faisant des crêpes (plume et lavis, années 1650) d’une telle qualité qu’elle fut attribuée à Rembrandt mais qu’il faut donner à un élève, plutôt. Dans l’art hollandais, le sujet de la crêpière eut une signification moralisatrice – dénonciation d’une perte de temps en vue de se livrer à la gourmandise – puis devint la représentation d’un moment intime et agréable. C’est le cas de ce lavis où « la chaleur d’un âtre familial se perçoit comme une valeur quasi sacrale », écrit Nataliya Markova dans le catalogue.
Dessins modernes
Sautons deux siècles et demi. Forain épousa en 1891 la portraitiste Jeanne Bosc : c’est de cette année-là que date le lavis la représentant coiffée d’un chapeau noir, qui a davantage de force que la peinture correspondante. Forain et Degas étaient liés par amitié artistique mais aussi politique (tous deux furent anti-dreyfusards) : de Degas une belle étude au fusain et pastel, un nu Après le bain (c. 1888), fait paraître fade et faux un nu de Maurice Denis (1900).
Mais il est temps de parler des Russes. Ivan Bilibine est connu pour ses illustrations des bylines, contes et chants épiques russes. L’aquarelle Baba-Yaga et les femmes-oiseaux (1902) est représentatif du « style Bilibine », coloré et bien composé, tout à fait narratif. Bilibine s’exila en France à partir de 1925, rentra en URSS en 1936. Zinaïda Serebriakova, elle, arriva en France en 1924 après avoir connu la ruine suite aux confiscations et en ayant refusé d’adopter le style artistique officiel recommandé. On ne peut passer à côté de deux études de nu à la sanguine (1916), nus charpentés et fluides. Serebriakova ne retourna pas en URSS mais son art y connut une certaine reconnaissance à partir des années 1960. Quant à Kouzma Petrov-Vodkine, il fut envoyé en France en 1924-1925 en voyage d’étude par le « Commissariat du Peuple à l’éducation ». Trois lavis ont trait à son séjour sur la côte picarde. L’originalité du cadrage, la sensibilité des valeurs rendues par la monochromie sont remarquables.
Sachant qu’on rencontre 140 artistes dans l’exposition Custodia, les quelques noms mentionnés ici ne sont qu’un très mince aperçu qu’on complétera évidemment par une visite ou par l’acquisition du catalogue.
- Le musée Pouchkine – Cinq cents ans de dessins de maîtres. Jusqu’au 12 mai 2019, Fondation Custodia (Paris VIIe).
- Le catalogue est édité par la Fondation Custodia. 30 × 24 cm, 300 illustrations, 480 pages, 49 euros.
En tête : Jacques-Louis David, Etude pour la figure d’Hersilie, 1796. Pierre noire, estompe, craie blanche sur papier beige, 488 x 395 mm. Musée d’Etat des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou.