Le prince et poète Charles d’Orléans figure sur la liste des commémorations nationales de 2015. Il est mort au début de l’année 1465, il y a 650 ans. Dans La Retenue d’Amour, il raconte comment, passant de l’enfance à la jeunesse, il s’est mis au service d’Amour un jour de Saint-Valentin. C’est sous cet angle que nous l’évoquerons aujourd’hui, car la Saint-Valentin est le sujet de nombreux rondeaux.
A ce jour de Saint-Valentin
Venez avant, nouveaux poètes.
Faites de plaisirs ou douleurs
Rimes en français ou latin. (R 248)
Douleurs ? Oui, la fête est parfois décevante.
Est-ce tout ce que m’apportez
A votre jour, saint Valentin ?
N’aurai-je que d’Espoir butin,
L’attente des déconfortés ? (R 276)
Le tempérament du poète n’est pas étranger à cette insatisfaction. Le Nonchaloir – entre nonchalance et mélancolie – n’est jamais loin. Charles d’Orléans s’éveille un 14 février, tout à la fête…
Mais Nonchaloir, mon médecin,
M’est venu le poulse tâter,
Qui m’a conseillé reposer
Et rendormir sur mon coussin,
A ce jour de Saint-Valentin. (R 3)
Ah, son coussin, son lit, il les apprécie ! Il y pense alors qu’il est sur la route un 14 février et qu’il ne rencontre que « Pluie, vent et mauvais chemin… ».
Mieux vaudrait en chambre nattée
Dormir, sans lever si matin,
A ce jour de Saint-Valentin. (R 110)
Lassitude
Sa chambre, il y pense aussi alors que, déjà vieux, il préfère la grasse matinée aux belles. « Piéça j’eus ma part du butin » : jadis il a été heureux, il laisse cela à d’autres.
Vu que plus réveille-matin
Ne veux avoir, mais reposer,
A ce jour de Saint-Valentin.
Jeunes gens aillent au hutin
Leur sens ou folie éprouver ;
Vieux suis pour à l’école aller :
J’entends assez bien mon latin
A ce jour de Saint-Valentin. (R 61)
Oui, l’homme est las, il s’en excuse auprès d’une hypothétique Valentine :
Je suis déjà d’amour tanné,
Ma très douce Valentinée… (R6)
Un autre 14 février, il entend les oiseaux chanter mais il reste couché car la mort lui a pris sa Valentine, son « pair » : son égale, sa compagne.
Lors en mouillant de larmes mon coussin
Je regrettais ma dure destinée,
Disant : « Oiseaux, je vous vois en chemin
De tout plaisir et joië désirée ;
Chacun de vous a pair qui lui agrée,
Et point n’en ai, car Mort, qui m’a trahi,
A pris mon pair, dont en deuil je languis
Sur le lit d’Ennuyeuse Pensée. »
Charles d’Orléans évoque dans cette ballade (n° 66) la mort de son épouse Bonne d’Armagnac, morte en 1435 après vingt années de séparation : il était prisonnier en Angleterre depuis la bataille d’Azincourt.
Casuistique
Quittons le domaine des sentiments pour celui du calendrier. Lorsque Pâques tombe fin mars, la Saint-Valentin coïncide avec le Mercredi des Cendres (nous connaîtrons cela en 2018). Le saint frappe à la porte.
… Vous, saint Valentin !
Qui vous amène maintenant,
Ce jour de Carême prenant.
Venez-vous départir butin ? (R 355)
Il tombe bien mal. Une autre fois, venez plus tôt, lui conseille le poète, car en ce jour vous ne rencontrerez que « souci » et « pénitence » (R 161). Manière de parler, car les Cendres sont mobiles, pas le 14 février. Mais à qui ou à quoi doit-on faillir ? A saint Valentin ou aux Cendres ? Charles d’Orléans propose de réserver le matin aux dévotions, et l’après-midi au saint, pour ceux qui y tiennent :
Et après dîner à loisir
Choisisse qui choisir voudra (R 162).
Quand la Saint-Valentin tombe alors que le Carême a déjà commencé, le poète tranche plus nettement : le carême est alors mis entre parenthèses et « Souci » est maudit ce jour-là (rondeau 247). Faut-il voir, dans cette question de préséance entre saint Valentin et les Cendres, le reflet d’une lutte intérieure entre dévotions et plaisirs ? C’est donner beaucoup d’importance à ce qui paraît être, avant tout, l’occasion de déployer une dialectique poétique. Et, Cendres ou pas, la Saint-Valentin n’est pas un moment d’inspiration particulièrement joyeuse ou sensuelle dans l’œuvre de Charles d’Orléans. A côté d’un 14 février idéal et amoureux, la Saint-Valentin prend chez lui une teinte mélancolique.
légende : Les fiançailles de Charles d’Orléans et de Bonne d’Armagnac en avril 1410 : c’est ce que représenterait cette enluminure tirée des Très riches heures du duc de Berry.
LU DANS PRÉSENT