Lu ailleurs / Olrik, Zorglub, Magneto : un beau livre célèbre les grands méchants de la BD

 Le Figaro

 Par Aurélia Vertaldi

Alors que le festival d’Angoulême vient juste de se terminer, le spécialiste de bande dessinée, Christophe Quillien recense près d’une centaine de pires ennemis des grands héros du 9e art, dans un superbe ouvrage, Méchants crapules et autres vilains de la bande dessinée. L’auteur présente les plus emblématiques d’entre eux.

Sans méchants, les héros ne pourraient pas exister. Pour mettre en valeur sa puissance, le héros a besoin de se confronter à un adversaire: «Sans méchant, le héros ne serait qu’un être virtuel sans épaisseur, une fiction sans objet, un rêve de papier sans sans réalité» constate Christophe Quillien dans son ouvrage Méchants crapules et autres vilains de la bande dessinée (éditions Huginn & Muninn).

Le méchant fait avancer l’histoire. Surtout, il offre au lecteur les émotions les plus intenses, lorsqu’il se demande ce qui va arriver à son personnage favori. Aussi, il est parfois plus facile pour lui de s’identifier au méchant qu’au héros parfait et inaccessible. Comme les souligne Quillien, «Qui ne s’est pas imaginé en maître du monde capable de soumettre ses semblables à sa volonté?»

Ambivalentes, infiniment riches et complexes, les personnalités des méchants permettent aux auteurs de camper une multitude de genres. Du faux méchant à la crapule finie, en passant par le génie du mal ou les simples «emmerdeurs», Christophe Quillien a catalogué les figures diverses et variées de ces créatures de papier qui viennent contrecarrer le cours normal des choses. Même si l’auteur n’a pas pu ajouter à son tableau de chasse des méchants tels Le Joker, Némésis de Batman ou Lex Luthor, ennemi juré deSuperman (appartenant tous deux à l’écurie DC Comics), son ouvrage brille par sa joyeuse érudition et sa belle iconographie soignée. Du coup, sous sa plume les méchants brillent de mille feux. Sans eux, «la vie dans les BD serait beaucoup plus triste», constate l’auteur avec le sourire. Pour Le Figaro, il nous en présente quelques figures symboliques.

 Le Bouffon Vert, le plus terrifiant

Le bouffon vert, de son vrai nom Norman Osborn, est l’ennemi juré de Spider Man Inventé par Stan Lee et Steve Ditko, il sera repris par différents scénaristes. La scène représentée est le genre de séquence que le lecteur apprécie particulièrement: le héros en fâcheuse posture. Une scène, où le héros est en difficulté, recèle une forte tension dramatique. Alors que le Bouffon Vert, ici le personnage dessiné par John Romita Sr., arbore une expression de joie mauvaise et triomphante, le lecteur s’attend à un rebondissement. Il assiste à la victoire du méchant sur le héros, soutenu par l’envie de savoir ce qui va se passer.

 Chihuahua Pearl, la dangereuse et séduisante aventurière

Les méchantes en BD sont rares, même si Chihuahua Pearl n’est pas vraiment une méchante proprement dite. Ce superbe personnage de la saga Blueberry, de Jean-Michel Charlier et Jean Giraud, est inspiré par la fameuse publicité du dentifrice Ultra Brite. Arrogante et fascinante, on voit ici la femme sûre d’elle, qui pose un cigarillo à la bouche. En fait, c’est une fausse méchante, c’est juste une femme qui veut trouver sa place dans l’Ouest américain avec des cowboys un peu fétides. Elle est très séduisante et prête a tout pour atteindre ses objectifs. Chihuahua est certes une aventurière sans scrupule, mais en même temps elle évolue dans un univers rude. Elle essaie de sortir de sa condition, travaille pour le gouvernement américain et suscite plutôt l’admiration. C’est dans le cadre de sa profession qu’elle rencontre Blueberry, qui va tomber amoureux d’elle. Elle contrecarre ses plans, le malmène, représentant le danger de la séduction. Elle s’avère dangereuse pour Blueberry car il est amoureux d’elle, révélant ainsi la faiblesse du héros.

 Espérandieu, le prototype du savant fou

Jacques Tardi a campé plusieurs personnages de savants fous qui mettent leur savoir-faire au service du mal. Espérandieu est issu du troisième album de la série Les Aventures extraordinaires d’Aèle Blanc-Sec, intitulé Le Savant fou. Il est particulièrement intéressant car au départ on le voit comme une espèce de bon scientifique inoffensif qui travaille pour le bien de l’humanité. En réalité, il se révèle une sorte de fou furieux, animé de la volonté un peu folle de créer de la vie à partir de rien. Ici, Espérandieu ramène à la vie le pithécanthrope. La plupart portent, d’ailleurs, des noms composés à partir du mot Dieu (Dieudonné, Dieuleveult…). Espérandieu est le prototype du savant fou, qui souffre de ne pas être reconnu à sa juste valeur mettant ainsi sa science au service du mal et de ses ambitions personnelles. Pour Tardi, les personnages de chercheurs sont tous un peu détraqués et incarnent la méfiance de l’auteur à l’égard de la science. Une défiance qu’il développera dans son travail autour de la guerre de 14-18, montrant les résultats parfois terrifiants du progrès.

 Gargamel, le sorcier qui pourchassait les Schtroumpfs

Les jeunes aussi ont leur méchant. Le sorcier Gargamel est celui de la série des Schtroumpfs, créée par Pierre Culliford (alias Peyo). C’est le type même du personnage un peu «bête et méchant». C’est le loser, celui qui rate tout le temps. Son obsession, nuire à son prochain et surtout venir à bout des petits lutins bleus. Il est dans l’ombre, toujours prêt à préparer un mauvais coup en douce. Le sorcier a façonné la Schtroumpfette, à partir d’une formule magique un peu misogyne, pour semer le trouble dans la communauté des Schtroumpfs essentiellement masculine, mais comme tout bon loser qui se respecte, sa créature lui a échappé. Il est nécessaire d’avoir aussi des méchants qui échouent et qui finissent toujours par être punis.

 Iznogoud, le méchant, teigneux et arriviste par excellence

Le personnage inventé par Goscinny et Jean Tabary est mû par une seule chose dans la vie: «Être calife à la place du calife». Cette célèbre phrase passée dans le langage courant, exprime le rêve absolu d’Iznogoud, l’incarnation absolue de l’obsédé du pouvoir. Fou de pouvoir, méchant, teigneux et arriviste, le personnage de Goscinny est le parfait représentant de cette grande famille de méchants animés par la même motivation. Au départ, Iznogoud ne constituait pas le héros de la série, celle-ci relatant les aventures au quotidien du calife Haroun El Poussah. Les tribulations du calife sans le méchant seraient cependant beaucoup moins intéressantes. Ici, le méchant recèle la personnalité la plus marquée et donne son titre à la saga. Le personnage s’avère très antipathique et en même temps adoré des lecteurs.

 Joe Dalton, le petit teigneux le plus célèbre de l’Ouest

Joe Dalton. Encore un méchant guidée par une obsession, que l’image représente à merveille: descendreLucky Luke. Création de Goscinny (encore et toujours) et de Morris, Joe Dalton est le plus petit, le plus haineux et le plus teigneux des quatre frères. Sa physionomie lorsqu’il est en colère le rend grotesque: tout rouge, les yeux exorbités, il devient hystérique. Elle exprime alors son obsession quasi maladive. Joe Dalton semble à moitié fou avec cette rage tournée contre Lucky Luke. Il ne rêve que d’une chose: tuer le lonesome cowboy, mais n’y parvient jamais. Pourtant, il est le seul parmi la fratrie à détenir des qualités de stratège, échafaudant sans cesse des plans pour parvenir à ses fins. C’est le personnage moteur qui entretient la méchanceté.

 Magnéto, le plus puissant des super-vilains

Magneto est l’exemple type du personnage de comics qui a beaucoup évolué, ayant été repris, enrichi et approfondi par toute une série de scénaristes. L’image présente, en bas à gauche, le personnage originel, celui de Stan Lee et Jack Kirby. Doit-on vraiment le considérer comme un méchant? Dès le départ, il renferme une ambivalence. Ce mutant au passé douloureux, victime du nazisme et déporté à Auschwitz, a mal tourné, estimant que les mutants doivent asseoir leur domination sur l’espèce humaine pour être accepté d’eux. À la différence de son ami Charles Xavier, mutant lui aussi, qui pense que les mutants doivent se fondre dans la masse des humains en s’efforçant de lutter contre les préjugés de ces derniers. Le professeur Xavier fondera la communauté des X-Men tandis que Magnéto donnera naissance à une «confrérie des mauvais mutants». Les deux hommes deviendront d’irréductibles adversaires. Au gré des scénaristes, il leur arrivera de temps en temps de combattre ensemble contre un ennemi commun. Magnéto est un beau personnage riche et complexe, à l’apparence graphiquement très réussie.

 Olrik, une séduction du diable!

Il est difficile d’imaginer un plus beau méchant qu’Olrik. Le personnage d’Edgar P. Jacobs est l’élégance personnifiée, au physique très hollywoodien. Il a un rôle essentiel, en témoigne sa présence dans presque tous les épisodes de la saga Blake et Mortimer. Il détient toutes les caractéristiques du héros: le courage, l’intelligence ainsi que la détermination. il est très impressionnant. Malheureusement, il a mis toutes ces belles qualités au service du mal et surtout de lui-même. Il se met parfois au service d’organisations criminelles qui, finalement s’avèrent les vrais méchants. Il n’est, cependant, pas un salarié très fiable, exempt d’ambitions politiques. Ses préoccupations sont plutôt d’ordre matérialistes. Il incarne le méchant aventurier au passé mystérieux. Olrik a de l’allure. C’est l’homme d’action dans toute sa splendeur, un adversaire à la hauteur du héros, celui qu’on prend plaisir à affronter. Il est superbe. C’est le méchant qui fait rêver.

 Zorglub, un méchant pompeux, touchant, drôle et maladroit

Zorglub, invention de Franquin et Greg, est un peu ridicule mais sympathique. C’est le savant fou version «soft». Il recèle une douce folie liée à un problème de reconnaissance, notamment envers le comte de Champignac. C’est son obsession à lui, que son talent soit reconnu par son ancien condisciple. Comme Champignac le prend de haut, il en fait des tonnes. Un peu pompeux, drôle, maladroit, Zorglub invente toujours des choses farfelues vouées à échouer. Il peut s’avérer néanmoins dangereux, disposant de réelles capacités d’invention. Le lecteur a de la sympathie pour Zorglub et ressent même parfois un peu d’agacement pour Champignac qui pourrait, à son sens, faire un effort.

 Méchants, Crapules et Autres Vilains de la bande dessinée, de Christophe Quillien, éditions Huginn & Muninn, 39,95€.

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