Le musée Grévin est sans conteste une institution parisienne. Créé en 1882 par le journaliste et patron de presse Arthur Meyer et le caricaturiste, sculpteur et costumier Alfred Grévin, le musée draine les foules, des touristes essentiellement : le Grévin est assez représentatif de ces endroits où les Parisiens mettent peu ou pas les pieds.
Pendant les vacances scolaires, la file s’allonge sur le trottoir du boulevard Montmartre. Les visiteurs sont enfournés dans le musée, payent un billet coûteux (autour de 20 euros), puis ils subissent une compression dans de petites salles tortueuses où ils stagnent plus ou moins longtemps en attendant que les gens aient fini de se prendre en photo avec les grands hommes ou les petites célébrités du moment, les people. Propriété du groupe Compagnie des Alpes, le musée Grévin doit être rentable. Ce n’est pas un crime. Mais il y a une manière de ne pas le faire sentir dont on ne se soucie pas ici, manifestement. Que le visiteur soit un élément de rendement à l’exclusion de toute autre considération est palpable. L’affaire n’a d’ailleurs jamais tourné sur des prétentions esthétiques – pensez, des statues de cire –, dès l’origine elle fut une machine à succès dans les mains d’Arthur Meyer, directeur du Gaulois. On peut savoir gré à Meyer d’avoir publié dans son journal bon nombre des contes de Maupassant, mais il est aussi celui qui interrompit la publication en feuilleton de L’Eve future, qu’il devait juger comme une littérature trop élitiste… Léon Bloy rangea Arthur Meyer dans la catégorie des « argousins de la Pensée » dans Le Pal et le campa, dans Le Désespéré, sous le nom de Judas Nathan, « juif rongé du vice chrétien de vanité ». Mais ceci est une autre histoire.
Mouler ou modeler en cire des personnages importants n’est pas nouveau. Antoine Benoist le fit au XVIIe-XVIIIe pour la famille royale. Puis Philippe Curtius. Puis son élève Marie Tussaud qui échappa de peu à la guillotine et créera à Londres dans les années 1830 le « Madame Tussauds », célèbre pour sa Chambre des horreurs où figuraient victimes et bourreaux de la Révolution. Désormais, à Grévin comme à Tussauds, il y a des présidents, la reine d’Angleterre, des acteurs, des présentateurs télé, les intellectuels : Sartre et BHL… La présence et l’absence de telle ou telle personnalité sont difficiles à comprendre. Pourquoi l’amuseur has been et mauvais acteur Mickaël Youn est-il là ? Pourquoi Marion Cotillard n’y est-elle pas ?
D’autres questions restent sans réponse : comment a-t-on pu rendre Scarlett Johansson insignifiante et moche ? Quand on a un modèle comme elle, on le soigne. Mais sans doute touche-t-on là le fond du problème : à imiter strictement la nature, l’art ne gagne rien sinon de la laideur. La nature s’interprète.
Le musée Grévin n’avait pas que des statues de cire pour attirer le public : le Palais des mirages y a été installé en 1900, l’intérêt de ses effets « spéciaux » plus d’un siècle après est douteux. Il y avait également des spectacles de magies. Le petit théâtre, avec son Aznavour assit dans les premiers rangs, possède encore son rideau de scène peint par Jules Chéret.
Beaucoup moins fournie qu’auparavant, la section historique du musée présente quelques scènes et personnalités : Jeanne d’Arc et l’évêque Cauchon, Voltaire à sa table de travail, un tribunal révolutionnaire… Le Moyen-Age est synthétisé par un squelette en armure, à cheval, avec cette explication non moins ramassée : « Toutes les peurs se cristallisent au Moyen-Age, période caractérisée par ses famines, ses fléaux, comme la peste, ses superstitions et les nombreuses persécutions des hérétiques et des sorcières. » Diable ! Voilà ce qui s’appelle accumuler les lieux communs… On s’étonne qu’un homme féru d’histoire comme Stéphane Bern ne fasse pas profiter de ses connaissances les responsables du Grévin – après tout il est le président de « l’académie Grévin » qui choisit, à partir d’une liste établie par les internautes, les heureux élus qui se transformeront en mannequins de cire. Parmi les récentes entrées, Nikos Aliagas et Kev Adams. Mais ne cherchez pas Donald Trump à côté d’Obama, le musée Grévin avait commencé la réalisation d’une cire d’Hillary Clinton. Il en coûte de croire les sondages. Trump sera à Grévin d’ici cinq ou six mois, paraît-il. Gageons que le musée sera plus prudent pour les élections présidentielles de chez nous et que les sculpteurs attendront prudemment le soir du deuxième tour pour travailler leurs boulettes de terre.
Musée Grévin, 10 boulevard Montmartre, 75009 Paris.
Samuel Martin – Présent