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Dans le dossier de la Corderie, cette carrière grecque découverte à Marseille et menacée par la construction d’un immeuble de Vinci1, Françoise Nyssen, ministre de la Culture, se présente en défenseur de l’État de droit ! Une position intenable qui démontre s’il en était besoin que cette femme, dans laquelle nous mettions beaucoup d’espoir se révèle un tout aussi piètre ministre que ses prédécesseurs.
Françoise Nyssen raconte n’importe quoi. Sans doute est-elle mal conseillée, mais c’est bien sa responsabilité de nommer les bonnes personnes pour cette mission, et on sait qu’elle a conservé en place le directeur des Patrimoines, et que la nouvelle conseillère du cabinet, Frédérique Girardin, « en charge des questions européennes et internationales, de la francophonie et du patrimoine » (dans cet ordre) ne connaît rien malgré toute sa bonne volonté à ce dernier domaine, comme les associations qui l’ont rencontrée ont pu s’en rendre compte.
Dire que l’État de droit empêcherait de protéger la carrière est faux car le ministère de la Culture, dans le respect de la loi, peut parfaitement décider de poser une instance de classement et de demander le classement d’office de tout monument ou vestige archéologique qui le mériterait. Ce classement est ensuite prononcé par décret du premier ministre après avis du Conseil d’État. Prétendre qu’utiliser une procédure prévue par la loi ne se fait pas, c’est une bien curieuse conception de l’État de droit !
Et entendre le ministère de la Culture invoquer l’État de droit alors que dans bien des cas il s’assoit sur la loi, n’est pas moins savoureux. Les associations et La Tribune de l’Art ont à maintes reprises dénoncé des manquements à la loi et aux règlements, comme par exemple les baraquements de Marcel Campion sur la place de la Concorde ou l’installation hors période d’autorisation de la grande roue et, sauf erreur, Françoise Nyssen ne s’est pas préoccupée de la loi et n’a pas prétexté l’État de droit pour engager une action.
Lorsque le préfet déclare que les archéologues de l’INRAP ont choisi le périmètre à classer et qu’ils l’ont fait de manière indépendante, ou que la ministre explique que la délimitation de la parcelle a été tracée « en toute indépendance », par les services de l’État, ils racontent là encore n’importe quoi. Car l’INRAP est un établissement public placé sous la double tutelle des ministères de la Culture et de la Recherche. Prétendre qu’il serait indépendant de l’État et qu’il pourrait défendre un classement total du site en contestant la décision du ministère, c’est comme affirmer que le Centre des Monuments Nationaux ou le Louvre pourrait s’opposer publiquement au ministre de la Culture. Ils ont un devoir de réserve et doivent suivre les orientations décidées par le ministère. On imagine encore moins les « services de l’État » (le service de l’archéologie de la DRAC donc) aller contre la décision de la ministre. Qui, dans le cas de la Corderie, a décidé qu’il ne fallait pas faire de la peine à Vinci et à Jean-Claude Gaudin contre l’avis d’un grand nombre de spécialistes, eux vraiment indépendants.
Françoise Nyssen devrait peut-être, plutôt que de se faire la complice de la destruction du patrimoine archéologique marseillais, lire la tribune publiée dans Le Figaro par une certaine Nyssen Françoise (sûrement une homonyme), un texte fort lyrique où elle propose de mobiliser « autour de la protection du patrimoine ». Une bien belle idée qu’elle devrait faire sienne.
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D’avril à juin 2017, une équipe de l’Inrap a fouillé, sur prescription de l’État (Drac Paca), une parcelle de 4 200 m² boulevard de la Corderie à Marseille. Située dans le quartier Saint-Victor qui domine la rive sud du Vieux-Port, la fouille s’inscrit dans le projet de construction d’un immeuble de logements par l’Adim Paca (Groupe Vinci). Ce sont les vestiges au centre du site qui ont retenu l’attention des chercheurs : bien conservés, ils témoignent de l’exploitation d’une carrière à partir du VIe siècle avant notre ère, du temps où Marseille était Massalia.
LE CALCAIRE DE SAINT-VICTOR, LA PIERRE DE MASSALIA
Marseille, fondée par des marins grecs de la ville de Phocée, occupe dès 600 avant notre ère la rive nord du Vieux-Port. Le stampien à grains fins (pierre calcaire tertiaire) y est présent sur la rive sud, autour de l’abbaye Saint-Victor et du bassin de Carénage. Les Grecs ont privilégié son utilisation pour la construction de Marseille. Sur le site de la Corderie, l’extraction de ce calcaire dit « de Saint-Victor » a laissé des traces sur près de 6 m de haut. Exploitée pendant plusieurs décennies aux VIe et Ve siècles avant notre ère, la carrière est abandonnée et comblée dans le premier quart du Ve siècle.
La production était apparemment diversifiée. Les carriers grecs extrayaient aussi bien des blocs de grand appareil que des éléments architecturaux circulaires de différents diamètres. Mais les archéologues retrouvent surtout les preuves d’une activité consacrée à la production de cuves et de couvercles de sarcophages. Le site livre même toutes les étapes de la chaîne opératoire, depuis l’ébauche, le tracé de calepinage préalable à la taille, jusqu’à la cuve : l’une d’elles, achevée mais défectueuse, a été abandonnée sur place. Par le passé, des sarcophages contemporains similaires ont été mis au jour à Marseille dans des contextes funéraires (boulevard de Paris, rue Tapis-Vert).
Au cours du IIe siècle avant notre ère, l’extraction de la carrière reprend sur une brèche calcaire différente. Plusieurs blocs de grand appareil, entièrement détourés, ont été abandonnés sur place en raison de défauts de la roche qui interdisaient leur mise en œuvre dans des constructions monumentales. Ponctuellement, les archéologues ont identifié une reprise d’extraction encore plus récente, peut-être d’époque romaine ; elle est accompagnée d’un graffiti sur une paroi rocheuse qui pourrait correspondre à un compte de carriers.
DES MÉTHODES ET OUTILS MILLÉNAIRES
Le calcaire de la Corderie conserve l’empreinte d’outils utilisés durant toute l’Antiquité et jusqu’à une période récente : pic, escoude, coins et leviers. Le principe d’extraction est également resté le même pendant plus de deux millénaires : dégagement périphérique du bloc au moyen de tranchées de havage, puis insertion de coins à sa base pour le séparer de son substrat.
Si l’utilisation du calcaire « de Saint-Victor » est bien attestée dans les constructions de Massalia (par exemple dans le monument découvert dans les fouilles du collège Vieux-Port), c’est la première fois que l’un de ses gisements est découvert. Les chercheurs, lors de l’analyse de l’ensemble des données recueillies sur le terrain, vont ainsi étudier la durée d’utilisation de la carrière, les stratégies d’extraction, les objectifs et l’économie de l’activité etc.