Georges Marchais n’a jamais dit le célèbre « Taisez-vous, Elkabbach ! » C’est une invention d’humoriste avisé et observateur. Mais il est vrai qu’il n’hésita jamais à l’apostropher par son nom dans son perpétuel numéro de cirque qui amena, un jour de 1980, l’intervieweur à rappeler au public que, dans une émission politique, « on n’est pas au music-hall ».
Jean-Pierre Elkabbach, 79 ans, s’en souvient sans doute. Georges Marchais est mort il y a 19 ans et peu d’hommes politiques ont osé lui tenir tête de cette façon. Mais c’est Denis Olivennes, le patron d’Europe 1, qui a fini par lui demander de se taire. Ou – et c’est tout comme,- de lui retirer sa fameuse interview politique de 8 h 20, en lui laissant « Le Grand Rendez-vous » du dimanche matin, où il n’est pas le seul à officier.
Cela faisait des années que l’irascible journaliste se montrait de plus en plus odieux à l’égard de ses invités. Coupant la parole, cassant, hautain, donneur de leçons et méprisant. Bruno Le Maire en a fait les frais lors du dernier débat de la primaire et lui a répondu, avec calme et fermeté, en lui demandant pour qui il se prenait.
Figure incontournable du journalisme politique français, Jean-Pierre Elkabbach a fini par oublier qu’un journaliste est là pour permettre à son invité de s’exprimer, pas pour s’exprimer à sa place.
Officiellement, cette semi-retraite est justifiée par les résultats d’audience – catastrophiques – de la station, qui perd des auditeurs chaque jour. Rien d’étonnant à cela, puisque Europe 1, comme l’ensemble des chaînes nationales, adopte une ligne politique ultra-conformiste qui soumet impitoyablement à la censure de la bien-pensance toute idée un tant soit peu déviante. RTL a, au moins, conservé Zemmour… Quant aux émissions de la journée, à l’exception notable de l’excellent Franck Ferrand, elles sont dépourvues du moindre intérêt.
Qui regrettera un homme qui s’est surtout singularisé par son manque d’indépendance et sa servilité envers les grands de ce monde ? Son vieux compère Alain Duhamel, peut-être, qui, avec ses 76 ans bien sonnés, pourrait bien se faire quelques cheveux blancs. Mais Duhamel a misé sur le bon cheval, RTL, qui se proclame régulièrement première radio de France, et ses manières sont plus policées, quoique l’esprit de soumission soit le même. Quant à Jean-Michel Aphatie qui, à 58 ans, fait figure de jeunot, son engagement à gauche le met à l’abri de ce genre de déconvenues, au moins tant qu’il restera au sein de Radio France, la maison rose…
Mais l’éviction d’Elkabbach, au-delà de son aspect anecdotique, marque surtout la fin d’une époque. De ces journalistes qui officient depuis plus de 40 ans sur toutes les chaînes de radio et de télévision, qui se targuent – à raison – de connaître le milieu politique sur le bout des doigts, et dont la connivence avec le pouvoir devient gênante tant elle est visible. Elle marque aussi la fin d’un modèle médiatique qui semble encore très puissant – et qui le reste – mais qui décline au profit de la presse alternative. Lassés de la propagande qu’ils finissent par décrypter, nombre de Français se tournent vers Internet, lorsqu’ils ne cessent pas tout simplement d’écouter la radio. Et, à vrai dire, qui leur donnerait tort ? On trouve des opinions nettement plus tranchées sur Boulevard Voltaire ou sur Causeur, on découvre des esprits indépendants et brillants sur TV Libertés, et le retour à France Info et autres stations officielles est cruellement frustrant.
François Teustch – Boulevard Voltaire