En 2002, Louis Meunier, frais émoulu de son école de commerce hyper cotée et promis à une jolie carrière, décide brutalement de changer le cap. Il a du coeur, du courage et les idées larges. Alors, il part en Afghanistan. Pour le compte d’une ONG d’abord, et puis pour son compte à lui, celui de sa vie et de ses rêves. En arrivant à Maïmana, où officie ladite ONG, un ami lui donne un livre, dont l’histoire se passe dans la province. Ce livre, c’est Les Cavaliers de Kessel. Ça aurait pu être pire, il s’agit là de l’un des plus grands récits de toute l’histoire de la création. Dedans, Kessel glorifie un Afghanistan mythique, terre de vent, de légendes et de chevaux, l’Afghanistan des bouzkachis, ces tournois des steppes où des cavaliers redoutables et déterminés comme des diables ont droit à tous les coups pour déposer dans le “cercle de justice” une dépouille de chèvre sans tête. Ces cavaliers, les tchopendoz, ne craignent ni les blessures, ni le sang, ni la mort. Leur monde, un monde violent, puissant, impitoyable et splendide, imprègne chaque page de ce livre en chef où les hommes sont abrupts, fiers et dignes, les femmes très discrètes et avec des têtes de veuve, et les chevaux des demi-dieux. L’emprise, le charme, l’envoûtement dont Kessel a subi le pouvoir, tout de suite, entièrement et pour toujours, quiconque a lu Les Cavaliers, les partage.
C’est ce qui est arrivé à Louis Meunier. Sauf qu’il “y était”, lui, et qu’il “l’a fait”. Il a passé dix ans là-bas. L’Afghanistan, il ne l’a pas visité, il l’a rencontré, embrassé, bu jusqu’à la lie. Patiemment, laborieusement, il s’est fondu dans ses coutumes ancestrales, ses rituels, ses contradictions. Très vite, l’ONG ne fut qu’un souvenir, son Graal étant devenu le bouzkachi, avec ses méchants et ses justes, ses bazars, ses foules, ses routes et ses prodigieuses solitudes. Meunier a traversé le pays, à cheval, pendant des mois : deux mille kilomètres entre les montagnes indomptables et les vallées de l’Hindou Kouch, avec ses trois chevaux et son guide afghan. Il a pénétré le cercle très fermé des seigneurs et des chefs de guerre, il a observé, bienveillant mais lucide, cette société moyenâgeuse où ne survivent que les plus forts, “secouée depuis toujours par les combats, les intrigues et les luttes de pouvoir”, et où les amitiés ou alliances des Afghans avec les étrangers sont “intéressées et temporaires”. Et surtout, il a joué au bouzkachi. Même qu’il est devenu tchopendoz (trois ans, tout de même, dans l’équipe de Kaboul). Il raconte.
Entre Les Cavaliers de Kessel et ceux de Louis Meunier, il y a eu 40 ans, des Russes, des talibans, des Américains, et même quelques Français en treillis. Le temps, les guerres et les hommes ont passé, mais pas les légendes. Le livre de Meunier, comme celui de Kessel avant lui, est la grammaire, éblouissante, de ces légendes.
Pourquoi le lire ?
Parce que l’aventure est belle, modeste, lucide, sincère. Parce que sous la plume de Meunier, l’Afghanistan n’est pas un pays, c’est un royaume. Ce n’est pas juste une terre de talibans, d’opium ou de burqas, c’est “l’Avshvagan”, littéralement en persan “terre des chevaux”. Parce que, entre l’histoire et la légende, il a choisi la légende, et que ça fait du bien, à l’heure où l’on peine parfois à dépasser – non pas nier – les lignes de l’actualité et de l’information.
Où, quand le lire ?
Après une heure ou deux de visionnage abrutissant d’une chaîne d’info en continu.
À qui l’offrir ?
À tous les amoureux de voyages, d’aventures, de chevaux, d’Afghanistan et de Joseph Kessel. Aux toreros ; les tchopendoz, eux aussi, ont le feu, la mort, la grâce et l’orgueil au corps et à l’âme, une sorte de “duende afghan”. À Omar Sharif.
Les Cavaliers afghans de Louis Meunier (Kero, 326 p., 20 €)