Le papa de mon papa par Boby Lapointe(Vidéo)

De son vrai nom Robert Lapointe, Boby est né le 16 avril 1922 à Pézenas dans le sud de la France. Avant même d’écrire des chansons, le moindre observateur pouvait saisir chez lui le côté fantasque. Lors de son adolescence, avec quelques copains potaches, celui-ci prend un malin plaisir à “terroriser” le bourgeois avec ses frasques. Le coq du clocher du village passe à la peinture phosphorescente le jour de Pâques, le splendide chien pékinois qui fait la fierté de l’épouse de Monsieur le percepteur se retrouve un jour entièrement tondu, par le garnement et ses petits camarades.

Jeune, le petit Boby n’a qu’une idée en tête devenir pilote, voler… Donc, il tente à plusieurs reprises avec des machines volantes de son invention d’assouvir son rêve. Ce qui lui vaut régulièrement des hospitalisations plus ou moins longues. C’est peu de dire qu’on a affaire là à un génial original. Mais, plus doué pour les mathématiques que pour la balistique – quand il s’agit de s’élancer dans l’air, Robert Lapointe passe son bac puis prépare les grandes écoles françaises que sont Centrale et Sup-aéro. Car ce Lapointe a une bosse, celle des maths qui lui permettra d’inventer dans les années 40 un système d’embrayage automatique pour automobile qui fera la fortune des constructeurs, quelques décennies plus tard.

Mathématiques

Par la suite, il met au point un mode de calcul mathématique et, en 68, un système bi-binaire reconnu par la gente des mathématiciens. Malheureusement pour lui, en 1942 il est enrôlé de force dans les STO (Service du Travail Obligatoire) et expédié à Linz en Autriche. A la même époque, Brassens prend dans les mêmes circonstances son mal en patience, Lapointe, lui, est insoumis et s’échappe des camps de travail. Au cours d’une galopade de près de sept mois sous de fausses identités – dont celle de Robert Foulcan (!) – il parvient à rejoindre sa famille dans l’Hérault en mai 44.

Force de la nature, athlète, il file vers le port de La Ciotat à côté de Marseille pour se faire scaphandrier et échapper sous l’eau aux recherches terrestres de la milice et des Allemands. La plume le démange et entre un recueil de poésie et un traité sur les calembours, il propose à l’occasion des textes aux interprètes de passage. C’est ainsi que, lors d’un gala de la chanson à Juan-les-Pins, il aborde les Frères Jacques. Apeurés par la complexité des textes et des calembours qui truffent ses chansons, les quatre compères déclinent la proposition. La guerre finie, Boby Lapointe émerge du port de La Ciotat, pour épouser, en 1946, une sirène du nom de Colette Maclaud qui sera maman de deux petits poissons, Ticha et Jacky.

Aragon et Castille

Les bans familiaux publiés, la famille monte à Paris ouvrir un commerce de linge et de layettes. Mais le baby-boom n’est apparemment pas au rendez-vous pour Lapointe qui ferme boutique et divorce dans le même temps. Boby se convertit à la fée électricité et devient installateur d’antennes télé le jour, tout en continuant d’écrire ses textes la nuit. En 1956, le comédien Bourvil et Gilles Grangier décident de tourner un film, “Poisson d’avril”, avec Pierre Dux, Maurice Biraud, Denise Grey et un nouveau venu… Louis de Funès. Pour un passage musical, il faut une chanson à Bourvil et il choisit “Aragon et Castille” de Lapointe. Un choix suggéré par l’accordéoniste de Bourvil, Etienne Lorin qui se lie d’amitié avec l’original Boby. Le film passe inaperçu, la chanson aussi, mais ce sont les débuts officiels et professionnels de Boby.

C’est au Cheval d’or, un cabaret parisien, qu’il fait ses grands débuts de chanteur. A l’époque, il croise sur les mêmes tréteaux Anne Sylvestre, Raymond Devos, Ricet Barrier ou Brassens. Avec un physique de catcheur, une élocution aléatoire et des textes à tiroirs et contrepèteries, il fait son petit effet, en ajoutant dans le “jeu” de scène avec des airs de plantigrades. Les singeries de Lapointe plaisent et, d’invité, il devient l’attraction principale du cabaret.

Le réalisateur François Truffaut tombe sous le charme de ce barbu loufoque et imagine de le faire jouer son rôle de chanteur de bar dans son nouveau film “Tirez sur le pianiste”, avec Charles Aznavourdans le rôle du pianiste. Lapointe y chante “Framboise” et “Marcelle”, mais devant la diction aléatoire du chanteur, le réalisateur décide de sous-titrer la chanson du film. Lapointe et Truffaut ont donc inventé le karaoké ! A cette occasion, il rencontre Philippe Weil qui l’engage dans un autre cabaret parisien, Les trois baudets. Ce sont les débuts d’un succès avec la sortie en 60 et 61 de deux enregistrements avec “Marcelle”, “Le poisson Fa”, “Bobo Léon” ou “Aragon et Castille”.

Acrobaties verbales

Dès lors, les récitals et les tournées avec Brassens se multiplient. Les jeux de mots les acrobaties avec la syntaxe amusent le public : “C’est un saucisson… de cheval / Un saucisson que… de cheval/ Que je viens de faire à cheval / C’est une chanson de saillie / Ah ! Chanson de saillie… de cheval / Moi qui suis esthète… de cheval/ Ah ! je trouve ça beau de cheval / Génial Admirable de lapin“. Comprend qui peut.

Mais le chanteur est ingérable, fantasque. Il ouvre un caf conc’ rue de la Huchette, le Cadran Bleu qui fait vite faillite. Brassens en bon samaritain éponge une partie des dettes et place son ami dans des boulots d’urgence pour faire bouillir la marmite. Lucien Morisse, directeur des programmes d’Europe 1, intervient pour lui retrouver un contrat discographique chez les disques AZ. Mais on est dans les années 60 et les yéyés font des ravages. Le style musical fanfare, hélicon et scie égoïne – qui fait pour le moins sourire – ne passe que rarement à la TSF.

Boby Lapointe s’adonne alors de plus en plus au cinéma. On le voit jouer un demeuré brutal dans “Max et les ferrailleurs” de Claude Sautet ou le chauffeur de bétaillère dans “Les choses de la vie” du même Sautet. Parallèlement, Joe Dassin, qui fait plutôt dans la bluette mièvre, pousse Lapointe à signer un nouveau contrat chez Fontana/Philips et devient le producteur de Lapointe qu’il emmène en tournée pour le dernier 33 tours de Lapointe, “Comprend qui peut”, avec en illustration, une splendide peinture du naïf Maurice Ghiglion-Green, qui deviendra des années plus tard l’icône de Lapointe, pull marin et nez dans les pâquerettes.

Fin de partie

Victime d’un cancer, il meurt le 29 juin 1972 à Pézenas auprès des siens alors que quelques mois auparavant, il faisait son dernier récital à Bobino en première partie d’un de ses premiers fans : Pierre Perret. “Les soirs où sa bonhomie me manque un peu, je fais comme si rien n’était, j’écoute ses chansons pour qu’il continue à vivre le bougre et il continue“.

De cette nostalgie de Pierre Perret, tous les contemporains du chanteur, Raymond Devos, Ricet Barrier ou les héritiers de Lapointe : Wally, Stellla, Marka ou même Arthur H la ressentent avec d’autant plus d’acuité que la carrière du chanteur fut aussi peu discrète que météorique. Seul ou presque, dans un genre d’amuseur boute-en-train, féru de bons mots et de contrepèterie, Lapointe restera à l’image d’un “Alexandre le Bienheureux” au cinéma ou d’une “Zazie” en littérature, une figure marquante de la chanson connue d’un aréopage d’hédonistes rigolards. Philips publiera après sa mort une intégrale de ses chansons. En 2002 pour célébrer l’anniversaire des trente ans de sa disparition, un hommage intitulé “Bobby Tutti Frutti” voit Clarika reprendre “Comprend qui peut” ou CharlElie chanter “La peinture à l’huile”.

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