Plus de 5 000 exemplaires vendus par jour : en vente depuis une semaine, Le suicide français dépasse Merci pour ce moment. Zemmour supplante Trierweiler dans les librairies. Au placard, les secrets d’alcôve qui n’auraient jamais dû en sortir…
Eric Zemmour analyse la décomposition de la société française en prenant des dates-clés : la loi Pleven, les colonnes de Buren, la finale de la coupe du monde 1998. Il y en a ainsi quatre-vingts. Le fait – le film, la chanson, la décision politique ou économique – est décortiqué et suivi dans ses conséquences ultimes, toujours néfastes. Ainsi, le crime de Bruay-en-Artois (6 avril 1972) est autre chose qu’un fait divers : le moment où une justice devient injuste par esprit partisan. Le notaire – mâle blanc, bourgeois – est forcément coupable puisqu’il est tout cela. Ou le film Dupont Lajoie (26 février 1975), qui est plus qu’un film : une généralisation où les Français sont nécessairement vulgaires, libidineux, misogynes, xénophobes… bref, franchouillards. Comment s’aimer, après une telle description ? Pour Eric Zemmour, cette haine de soi est un facteur et un signe de décomposition. Ses conclusions rejoignent celles de Jean de Viguerie dans Les deux Patries : la France est morte, ce qu’on appelle encore France n’est qu’une étiquette sur un autre contenu. Difficile de n’être pas d’accord avec lui, si l’on écarte une vénération pour De Gaulle qui, n’en déplaise à l’auteur, a mis la main à la pâte.
Depuis la sortie de Suicide français, Eric Zemmour refuse une vingtaine de demandes d’interview par jour. Présent, en exclusivité, l’a rencontré mercredi matin au Carré, place Saint-Augustin, dans le VIIIe arrondissement.
— Votre livre est-il une autopsie ou un diagnostic ?
— Il est les deux. Si je suis ma raison, l’état dans lequel est la France est irréversible. Si je suis mon espoir et si je considère l’histoire de France, faite de chutes et de sommets, je me dis qu’on va toucher le fond si durement qu’il s’ensuivra un rebond. Raisonnablement je ne crois pas à un relèvement, mais la raison n’a pas toujours raison.
— Voyez-vous un précédent au suicide que vous décrivez ?
— La chute de l’Empire romain. Il y a, au cœur du suicide français, une haine de soi très caractéristique. Les Romains n’ont peut-être pas ressenti cela – c’est difficile à savoir – mais ils apparaissent emplis d’une lassitude de soi. La grande bourgeoisie romaine, particulièrement, s’est comme laissé massacrer par les barbares. Elle était lasse d’elle-même, comme le préfet de Lutèce dans Astérix et La Serpe d’or : « Je suis las, las, las… » Les Romains de la fin sont passifs. Nous aussi. C’est cela que j’appelle suicide.
— Est-ce un suicide collectif ?
— Suicide collectif ? Si vous voulez : c’est la société dans son entier qui est en cause. Elle a consenti à ce suicide. Mais celui-ci a été activé par des minorités, plus ou moins agissantes. Depuis le début des années soixante existe un conflit entre l’Etat et la société qui commence alors à détruire l’individu. Ce conflit est très bien diagnostiqué par Pompidou dans sa discussion avec Peyrefitte – lequel on verrait comme un conservateur, il est en réalité un moderne, un libéral. Pompidou dit en substance : la France, c’est l’Etat, aujourd’hui que la société est en train d’imploser, il faut sauver l’Etat et la nation.
— De quoi faut-il les sauver exactement ?
— De ce que j’appelle « les trois D » : Déconstruction, Dérision, Destruction. La déconstruction, personne ne l’a vue. Elle a été le fait d’intellectuels brillants comme Deleuze, Guattari et d’autres. La dérision, tout le monde a ri. Moi le premier. Les sketchs de Coluche sont extraordinaires. Encore aujourd’hui ils me font plus rire que les sketchs des comiques actuels, et mes enfants rient aussi. C’est dire la force inouïe de ce type, force nietzschéenne, nihiliste. Elle a mené à la Destruction. Cette destruction, chacun la constate. Les gens râlent : « Je n’ai pas voulu ça, moi ! » Mais le mal est fait.
— Selon Jules Monnerot, quand les élites deviennent imperméables et déconnectées du peuple, cela provoque à terme une révolution. Sommes-nous dans ce cas de figure ?
— Pour qu’il y ait une révolution, une prise de conscience est nécessaire. Nous n’y sommes pas encore. Le but de mon livre est de déconstruire les déconstructeurs, pour accélérer la prise de conscience. Plutôt qu’une révolution, je vois venir des jacqueries, des « jours de colère ». Avec les Bonnets rouges, on voit de nouvelles alliances : petits patrons et ouvriers. Cela met Mélenchon hors de lui, car il a compris ce qui se passe : cette alliance est celle des victimes de la mondialisation.
Je vois venir aussi l’affrontement de trois jeunesses. D’une part la jeunesse des grandes écoles, supérieures, faite des bons petits soldats de la mondialisation, élevés dans le multiculturalisme chic et la théorie du genre au point qu’ils ne se rendent pas compte combien tout cela est factice. D’autre part la jeunesse populaire, délaissée, « périphérique » pour reprendre l’expression de Christophe Guilluy. Enfin la jeunesse immigrée. Ces trois jeunesses sont étrangères les unes aux autres, elles finiront par s’affronter. L’animosité monte. Souvenez-vous, en 2005, quand les bandes de pilleurs ont attaqué les « boloss » blancs, ces lycéens qui manifestaient contre la loi Fillon… Jeunesse des banlieues contre jeunesse bourgeoise. Laquelle est pleine de révérence pour les « jeunes » et contaminée par leur culture : langage, rap, etc.
— Jean-Paul Gaultier dans Paris-Match : « Ma France à moi est multiraciale et multisexuelle ». Comment est la France d’Eric Zemmour ?
— Ma France à moi, c’est la France de l’histoire de France, de la langue et de la littérature françaises. C’est le pays, pour reprendre De Gaulle, de race blanche, de culture chrétienne et gréco-romaine. Sinon, ce n’est plus la France. Tout est là. Je le dis d’autant plus fortement que j’appartiens à une « minorité ». Je n’ai pas envie que la France devienne le Liban. Ce n’est pas mon rêve.
Lu dans Présent