Le 9 octobre, la Fédération chrétienne de Malaisie a exprimé en des termes particulièrement fermes son désaccord face à la décision du pouvoir en place de ne pas poursuivre en justice le leader d’une organisation pro-malaise et pro-musulmane qui avait menacé d’organiser un autodafé de bibles. Selon le pasteur Eu Hong Seng, président de la CFM (Christian Federation of Malaysia), …
… le pouvoir donne ainsi « carte blanche » (en français dans le texte) aux extrémistes pour menacer « non seulement les chrétiens mais toutes les communautés religieuses autres que musulmanes ».
La veille, Nancy Shukri, ministre chargée des Lois au sein du cabinet du Premier ministre, avait déclaré, dans une réponse écrite au Parlement, qu’Ibrahim Ali, chef de Perkasa, ne serait pas poursuivi pour avoir appelé les musulmans à « se saisir » des bibles écrites en malais afin de « les brûler ». La ministre écrivait qu’Ibrahim Ali n’avait pas agi avec « l’intention de perturber l’harmonie religieuse » du pays et qu’il n’avait cherché qu’à « défendre le caractère sacré de l’islam ». Elle précisait encore que le discours du leader de Perkasa était resté conforme à l’esprit de l’article 11, alinéa 4, de la Constitution fédérale, lequel porte sur la liberté religieuse ainsi que sur l’interdiction stipulée à toute religion autre que l’islam de faire œuvre de prosélytisme en Malaisie (1).
Perkasa est cette organisation ethno-nationaliste autoproclamée défenseure de la communauté malaise qui s’illustre régulièrement, avec quelques autres telles ISMA ou JATI, afin de promouvoir l’identité exclusivement musulmane de la composante malaise de la population de la Fédération de Malaisie. Elle est considérée comme proche de l’UMNO, le parti dominant de la coalition au pouvoir, le Barisan Nasional.
En janvier 2013, alors que le pays se préparait à des élections générales s’annonçant comme les plus disputées de son histoire et que la question religieuse occupait une place déterminante dans la campagne électorale, Ibrahim Ali n’avait pas hésité à appeler ses coreligionnaires musulmans à brûler les bibles en langue malaise, celles-ci utilisant le mot ‘Allah’ pour dire Dieu – fait considéré par ce leader extrémiste comme une mesure prosélyte destiné à semer le trouble dans l’esprit des musulmans pour les amener à apostasier leur foi islamique. L’appel avait été lancé à Penang, dans un Etat de la Fédération contrôlé par l’opposition, et d’importantes forces de police avaient été déployées.
L’autodafé n’avait pas eu lieu, mais le président du barreau de Malaisie avait demandé que des poursuites judiciaires soient engagées contre Ibrahim Ali pour « sédition ». Et, de fait, le procureur général avait ouvert un dossier d’instruction contre le chef de Perkasa pour « incitation à la haine religieuse », mais, une fois les élections passées, l’instruction n’était pas allée plus loin – laissant le dossier en suspens et provoquant ainsi la question parlementaire à laquelle Nancy Shukri vient de répondre.
La CFM, qui réunit la très grande majorité des dénominations chrétiennes du pays (dont l’Eglise catholique), se dit « scandalisée » par « le fait qu’un appel à brûler notre Sainte Bible puisse être considéré comme un acte de défense de l’islam ». Dans son communiqué, le président de la CFM ajoute que « sous aucun raisonnement logique ni aucune circonstance particulière, on ne saurait considérer qu’une menace ou un appel à perpétrer une action violente, à profaner les textes sacrés d’un autre citoyen malaisien puisse être tenu pour un acte défensif ».
Le responsable chrétien poursuit en disant « sa protestation la plus ferme » contre « la position totalement inexcusable adoptée par le gouvernement » et conclut en appelant tous les membres du Parlement « de bonne volonté, et quelle que soit leur appartenance ethnique, religieuse ou partisane » à s’unir pour voter une motion de censure contre la ministre qui a écrit une déclaration aussi « scandaleuse qu’irresponsable ».
Le Conseil des Eglises (protestantes) de Malaisie (CCM, Council of Churches of Malaysia) a, lui aussi, vivement condamné les propos de la ministre en charge des Lois, considérant que ces derniers « se moquaient » des appels toujours répétés du pouvoir fédéral à la modération et au respect mutuel entre les religions dans le pays.
Sur la scène politique, la déclaration de Nancy Shukri a également provoqué de fortes réactions. Il a été suggéré à la ministre d’aller lire sa déclaration à Sarawak, état de Malaisie orientale dont elle est l’élue et où les chrétiens sont très nombreux. Lim Guan Eng, secrétaire général du DAP (Democratic Action Party, dans l’opposition) et ministre-président de l’Etat de Penang, a interpellé la ministre en ces termes : « (…) Au mieux, [Nancy Shukri] est une juriste qui ne connaît pas le droit, au pire, elle soutient Perkasa et peut être considérée comme un clone d’Ibrahim Ali ».
Les réseaux sociaux et les sites d’information en ligne (la presse ‘papier’ est loin d’être libre en Malaisie) se sont saisis du sujet. The Malaysian Insider dénonce « le deux poids-deux mesures » que révèle la non-poursuite devant la justice d’Ibrahim Ali. « La triste réalité de ce qui se passe en Malaisie est que le gouvernement en place semble oublier le concept de justice. Certains sont poursuivis en justice, d’autres pas ; c’est le règne de l’arbitraire. (…) Faut-il s’étonner que les gens ne fassent aujourd’hui plus confiance au gouvernement ? Y a-t-il une seule raison de faire confiance à un gouvernement qui ferme les yeux sur de pareilles menaces et se montre sourd aux appels des minorités de ce pays ? », peut-on lire dans un « commentaire » de la Rédaction du site d’information en ligne, daté du 9 octobre.
En Malaisie, près de 60 % de la population est considérée par les autorités comme étant d’origine ethnique malaise et donc, de facto, comme appartenant à l’islam, qui a le statut de religion officielle. Les chrétiens, quant à eux, sont estimés à un peu plus de 9 % de la population, toutes obédiences confondues.