Non, La Tribune de l’Art ne donne pas dans le people comme pourrait le suggérer le titre de cet article. Mais comment traiter autrement que par l’ironie un tel sujet ? On pourrait en effet, en lisant l’interview de Jean-Michel Wilmotte dans Le Parisien, croire qu’il s’agit simplement des divagations stériles d’un vieil architecte, et passer à autre chose. Mais ce n’est hélas pas le cas. Le programme ahurissant que celui-ci propose pour Paris, qui reviendrait simplement à tuer cette ville (Wilmotte, ville morte pourrait-on dire1), n’est autre si on l’analyse, que celui qu’a commencé à mettre en œuvre la maire depuis qu’elle a accédé à la magistrature suprême parisienne, et qu’elle avait commencé à expérimenter du temps où elle était première adjointe de Delanoë. Wilmotte aime Hidalgo, son texte le proclame, et celle-ci ne le déteste pas, comme on peut le constater par les commandes qu’elle lui passe au nom de la ville.
Son interview est truffé de morceaux de bravoure. Le mieux est encore de les extraire une à une :
« C’est nécessaire [de construire du moderne en plein Paris] si on veut faire briller l’ancien » : voila une affirmation qui plaira à Anne Hidalgo qui ne rêve que de construire partout en plein Paris, sans aucun égard pour le patrimoine. Car celui-ci ne suffit plus. Les monuments historiques, cela va bien cinq minutes. Il faut du neuf. Tout ça, c’est des vieilleries et seules des constructions bien modernes peuvent les rendre intéressantes. Si c’est du Wilmotte, c’est encore mieux, c’est même l’acmé.
D’ailleurs, il prend, en toute modestie (mais les génies ne peuvent être modestes) des exemples dans son travail. Le Collège des Bernardins, le Collège de France, et le Louvre. Qui veut admirer un bâtiment ancien abîmé par un mauvais architecte contemporain peut se rendre au Collège des Bernardins, nous en avions déjà parlé ici. Nous avouons ne pas connaître l’intervention de Wilmotte au Collège de France, en revanche, au Louvre, nous avions négligé de citer sa participation au ratage complet de la nouvelle muséographie du pavillon de l’Horloge.
« Réinventer Paris est une sorte de cri d’alarme ». Pour Hidalgo, c’était un slogan. Pour Wilmotte, c’est un cri d’alarme. Pour nous aussi, d’ailleurs : nous sommes très alarmé.
« On peut construire sur les toits, faire des extensions ». On voit ce qui plaît à Hidalgo dans Wilmotte. On se demande même s’il ne lui a pas soufflé ces belles idées : construire sur les toits de Paris, pour densifier encore l’une des villes les plus denses du monde, et lui faire perdre son charme que chacun (sauf Wilmotte et Hidalgo) s’accorde à voir dans les toits de Paris.
Oui, mais. Pauvre Wilmotte. Il y a encore des empêcheurs de construire où l’on veut : « le permis de construire, les bâtiments de France, la mairie, la préfecture, les associations ».
Si l’on voit bien ce que l’architecte bâtisseur peut détester dans le permis de construire, les bâtiments de France ou les préfectures (pourtant très accommodants ces derniers temps) et les associations (qu’il faudrait dissoudre, probablement), on s’interroge sur la mise en cause de la mairie. La lune de miel connaîtrait-elle déjà des ratés ? On ne peut y croire. Nous voulions donc interroger Wilmotte sur cette interview, mais en vain. Serait-il encore plus jusqu’au-boutiste qu’Anne Hidalgo ? Mais non. Ce qu’il veut dire en fait – nous interprétons, il peut toujours nous contredire – c’est que dans l’absolu, une mairie peut refuser de décerner un permis de construire, même à WIlmotte. Cela ne concerne donc en rien Hidalgo, qui ne s’oppose à rien ou presque de ce qu’on veut édifier au cœur de Paris. Mais voilà, Wilmotte n’a pas vocation à construire que dans cette ville et tous les maires ne sont pas comme Hidalgo.
On connaît la musique : les procédures sont trop contraignantes : pour Wilmotte, il faut « réinventer la simplification ». Tout ce que construit Wilmotte étant tellement génial, à quoi bon des règles, non ? Le code du patrimoine devrait être « réinventé » avec l’article suivant : toute construction de Wilmotte est autorisée par dérogation spéciale.
« L’équipe Valode et Piste propose de faire cinq ou six tours autour de Montparnasse pour atténuer sa brutalité. C’est une bonne idée ». Que n’y a-t-on pensé plutôt ? La tour Montparnasse est moche ? Cachons-la derrière des tours ? Et si ces tours sont moches, on n’aura plus qu’à les cacher par de nouvelles tours. Et si elles sont moches ? Ah, le beau futur, avec toutes ces tours belles (construites par Wilmotte bien sûr) qui cacheront les tours moches. C’est la « nouvelle urbanisation » que propose l’architecte.
« Je me pose la question de la place de la République ». Nous aussi. Cette place, selon Wilmotte, est aujourd’hui « incontrôlable » sur le plan de la « sécurité et [de] l’ordre public ». Il faudrait « penser à créer des alternances de végétal et d’eau ». Tiens, comme ce qui existait sur cette même place, et que la mairie a détruit ? Voilà un vrai point de désaccord avec Hidalgo, cela arrive même dans les plus belles histoires d’amour. On peut d’ailleurs s’étonner qu’un architecte se prenne pour un policier et veuille concevoir une place en fonction de l’ordre public plutôt que de son histoire et de son esthétique.
« La grande roue coupe l’axe. On devrait la mettre sur un pont qui enjamberait la Seine » : entre amis d’Hidalgo, on ne peut pas se faire des misères. Wilmotte trouve que la grande roue (toujours installée illégalement, une illégalité régularisée par la préfecture !) coupe la perspective, mais pas question de l’ôter du cœur de Paris et de faire de la peine à Marcel Campion. Ne l’enlevons surtout pas, mettons-la sur un pont !
« J’ai conscience de la chance que j’ai de construire autant de beaux projets dans Paris. Je m’en réjouis tous les matins ». Pas nous.