Téléréalité?

Juillet et août sont des mois particulièrement difficiles pour le porte-monnaie des saisonniers de la télévision. Programmes d’été obligent, toutes les productions sont à l’arrêt et il faut donc se jeter sur le moindre petit boulot encore disponible. Par chance l’une de mes amies, Clarice, chargée de la production du jeu d’aventure « Perdu dans l’Océan » m’a offert un job de casteuse dans son émission.

Pendant plusieurs semaines, la chaîne TV2 avait diffusé, en boucle, des appels à candidatures pour appâter les téléspectateurs en quête de sensations fortes… J’imaginais donc que je n’aurais aucune difficulté à trouver des participants. J’étais bien naïve…

A mon arrivée dans les locaux de la prestigieuse boîte de prod, on me présenta immédiatement deux stagiaires, dont le job consistait à consulter les profils des candidats qui s’étaient inscrits sur le site Internet de la chaîne et à ouvrir le courrier des téléspectateurs qui tentaient leur chance par voie postale.

Je pensais n’avoir qu’à me servir, mais Lydia, la Rédactrice ne chef, me remit très vite les idées en place :

« La plupart de ces lettres et mails partent à la poubelle, les profils sont complètement nazes ! »

« Mais alors à quoi bon laisser penser aux téléspectateurs que les appels à candidatures peuvent les transformer en futurs star de TV ? »

« … C’est purement stratégique, on fait juste une petite auto-promo pour annoncer l’arrivée de l’émission ! » me répondit Lydia.

« Alors comment suis-je sensée trouver les participants ? »

« Ne t’inquiète pas, on a une liste de profils types… »

Elle me remit alors la « bible » de l’émission. En langage télévisuel ce document est en fait le scénario du programme. En troisième page, je découvris donc la fameuse liste de candidats à trouver, dont je vous livre le contenu :

– Le stratège qui n’a pas peur de trahir pour gagner
– L’homme au sang chaud
– La bonne copine un peu naïve
– Le garçon manqué, qui ne s’entend pas avec les filles
– Le père de famille, autoritaire et travailleur
– La mère de famille, pas sportive, qui ne s’est jamais séparée de ses enfants
– Une personne issue de la diversité (black, beur…)
– La jolie fille
– Le fainéant, qui vit toujours chez ses parents
– L’intello tête à claque

Lydia me confia aussi un petit annuaire de coiffeurs, de bars, de boîtes de nuit, d’esthéticiennes et autres clubs de sport, habitués à collaborer avec la TV et à fournir de bons clients.

Je pris aussi contact avec des organisateurs de stages de survie pour trouver des personnes suffisamment résistantes pour supporter un mois et demi de tournage dans des conditions particulièrement rudimentaires.

Je finis par trouver un militaire à la retraite pour incarner l’autorité… Je recyclais une mère de famille nombreuse que j’avais castée pour un talk-show… Une agence d’hôtesses d’accueil me trouva une jolie fille plutôt sportive…L’annonce que j’avais affichée dans une Maison des jeunes d’un quartier sensible m’offrit à la fois un ancien boxeur reconverti en éducateur, au caractère bien trempé, et un jeune étudiant black, hyper motivé… Une amie casteuse, sur une célèbre émission de seconde partie de soirée consacrée aux conflits familiaux, me refourgua un « Tanguy, » pas assez trash pour figurer dans son programme et un club d’échec me présenta la tête à claque idéale. Dans l’entourage proche de la directrice de casting, nous avons trouvé un comédien, incarnant selon elle, le parfait stratège. Je le soupçonne plutôt d’avoir accepté d’en faire des caisses moyennant un petit cachet… L’ingénue, bonne copine, me tomba, tout cuit, dans les bras, à la sortie d’un cours de Zumba.

Une fois le casting bouclé, Clarice me proposa de basculer au service production pour l’aider à préparer, par téléphone la logistique du tournage, sur place, à l’autre bout du monde.

Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir certaines méthodes utilisées par mes confrères…

Ma première mission fut de trouver deux hôtels : un « haut de gamme » pour l’équipe technique, avec climatisation et piscine, et, un autre beaucoup plus basique pour accueillir les candidats au moment de leur arrivée et après leur élimination. Et par basique, entendez sans aucun confort : toilettes à la turque et ventilateur sur demande !

Autre contact à trouver sur place, celui d’un parc zoologique ou d’une ferme tropicale pour louer quelques bébêtes le temps de faire des « Beauties »… Vous savez les petits plans qui servent de virgules entre chaque séquence, où l’on voit un serpent se dandiner sur un arbre, une grosse araignée menaçante, ou encore un scorpion sur le sable ! Que du fake !!!

Vous pensez vraiment que la production prendrait le risque d’exposer ses candidats à la piqûre de dangereux prédateurs ?! En réalité, les îles que vous voyez dans les émissions d’aventures sont, la plupart du temps, louées toute l’année par des sociétés de production du monde entier pour servir de décor aux émissions d’aventure diffusées aux quatre coins du monde. Elles n’ont donc plus grand chose de vraiment sauvage.

La réalité des conditions de vie rudimentaire des candidats, elle, est pourtant bien réelle. Ils doivent, en effet, se débrouiller, par exemple, pour faire du feu et se nourrir, même s’il est, selon la rumeur, arrivé qu’un ingénieur du son donne discrètement un peu de bois sec à une équipe en galère… Un autre bruit de couloir dit qu’un cameraman aurait été viré après avoir allumé le feu avec un briquet, lassé d’attendre, caméra de 15Kg sur l’épaule, sous un soleil de plomb, qu’une braise veuille bien prendre !

Clarice, me demanda ensuite de rappeler toutes les candidates pour leur conseiller de faire une épilation définitive avant le départ, car aucun rasoir ne serait admis :

« On ne peut pas se permettre d’avoir des candidates, avec persil apparent, à l’entrejambe ou sous les aisselles ! »

Je ne savais pas trop si je devais rire ou pleurer de découvrir des règles aussi machistes ! Et en parlant de règles :

« Les filles sont–elles autorisées à emmener avec elle des protection hygiéniques ?! Me risquais-je…

« Non, c’est interdit ! », Me dit Clarice « Elle pourraient se servir des serviettes hygiénique comme de papier toilette, puisqu’on ne leur en fournit pas ! »

« Mais, elles font comment ? »

« Certaines se font prescrire une pilule qui bloquent les règles et pour les autres, l’équipe technique leur donne un tampon à la fois, quand elles en font la demande ! »

« Mais c’est le bagne ! »

Clarice m’expliqua ensuite que pour faire ressortir les caractères espérés, le « Game Producer », comprenez le scénariste, oriente sur place les interviews pour provoquer des émotions chez les candidats, en leur donnant, par exemple des nouvelles de leurs familles.

Son rôle est en fait de suivre le déroulé de l’aventure pour réagir au moindre événement et créer des stimuli adaptés au contexte. Par exemple si un candidat est affaibli, on s’arrange pour le faire passer pour un fainéant aux yeux des autres, en proposant ce jour là une activité éreintante, comme la construction d’un radeau ; Si un candidat a les crocs ne supportant pas la privation de nourriture, on met en place une activité avec une récompense nutritive à la clé. S’il gagne, son instinct primaire de Cro-Magnon affamé offre des images fortes de son orgie de bouffe et s’il perd, cela le rend forcément agressif, et a toutes les chances de provoquer des tensions entre les participants. Rien de tel pour pimenter l’action !

C’est à ce moment-là que je compris qu’un jeu d’aventure n’était, ni plus ni moins, qu’une télé-réalité d’enfermement, sans murs ni barrières, mais dans laquelle les candidats ne sont que des souris de laboratoire placées sous le microscope impudique d’une camera !

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