Ils ont tué l’histoire-géo

Prenant pour cible l’enseignement de l’histoire-géographie qu’il connait bien, Laurent Wetzel, normalien et agrégé d’histoire, se livre ici à un réquisitoire sans appel contre ceux qui, selon lui, ont été les artisans de l’effondrement de cette discipline.
Bien sûr, l’on s’en prend souvent aux théoriciens de ce qu’il est convenu d’appeler le « pédagogisme » (comme si la pédagogie était leur chasse-gardée !), Philippe Meirieu en tête ! Mais le but de cet ouvrage d’identifier précisément les commanditaires, c’est-à-dire les responsables politiques de l’Education Nationale, ceux qui, reniant leurs propres pairs, sont devenus les apôtres de la déconstruction ! La liste est longue et réserve quelques surprises !

Le livre commence par le projet insensé de vouloir supprimer l’enseignement de l’histoire-géo en classe de terminale scientifique. Les raisons invoquées : « la culture générale  creuse les inégalités », La série scientifique est une filière généraliste élitiste qui mène à tout » dixit Descoings. Bref une argumentation qui se fonde sur une idée fausse mais hélas très largement répandue. C’est la mise en œuvre avec 49 ans de retard du procès en sorcellerie contre la « C-lection » chère à nos soixante-huitards attardés. En sont-ils vraiment convaincus ou bien cherchent-ils à « compenser » une frustration personnelle  enfouie dans leur inconscient de « littéraire autoproclamé » ? Nul ne le sait ! Toujours est-il que l’on ne peut s’empêcher de faire un rapprochement avec la sinistre phrase de Jean Baptiste Coffinhal peu de temps avant l’assassinat de Lavoisier, père de la chimie moderne : « la République n’a pas besoin de savants, ni de chimistes… »
Cette suppression de l’enseignement de l’histoire-géo en terminale S est l’œuvre de Luc Chatel (DESS de marketing, ancien DHR chez l’Oréal ) et sémillant ministre de Nicolas Sarkozy. Malgré l’opposition massive de nombreuses instances de l’Education Nationale et celle de nombreux universitaires, le soldat du trop célèbre Richard Descoings, directeur de Sciences Po, pote gauchiste de N. Sarkozy aux émoluments astronomique de plus de 500 000 euros en 2011, aura eu finalement gain de cause. Il aura bénéficié du soutien de Jean-Michel Blanquer (tiens donc !) cet ancien directeur de la DGESCO qui aujourd’hui veut se faire passer pour le sauveur du système éducatif ! Pour mémoire, la DGESCO (Direction Générale de l’Enseignement SCOlaire) est l’instance chargée d’élaborer la politique éducative et pédagogique et de l’élaboration des programmes… Rien que ça ! Quelque part, on comprend la hargne de Mme Belkacem qui connaissait certainement le parcours de ce « professionnel » de la politique.

Puis un chapitre non moins triste sur l’affaire de l’épreuve de l’agrégation externe d’histoire de 2011. Une bévue incroyable. Pour les détails, se reporter à l’article de Libération : http://www.liberation.fr/societe/2011/05/31/scandale-a-l-agregation-d-histoire-j-ai-appris-un-mois-apres-que-le-texte-etait-faux_739599
Malgré l’ardeur déployée pour étouffer l’affaire, le manque de sérieux dans la conception des sujets de concours est apparu au grand jour. Un constat tragique : les élites ne sont plus ce qu’elles étaient ! On verra d’ailleurs dans les années suivantes des dérives à tous les niveaux, affectant l’ensemble des disciplines : sujets d’examen sans queue ni tête, épreuves annulées, corrigés parfois faux…
On retrouvera les mêmes faiblesses dans la conception des « nouveaux » programmes. Notre auteur, qui ne décolère pas, en pointe minutieusement les incohérences. Toutes les contre-vérités historiques sont passées au crible ! Car pour nourrir la propagande officielle, les faits historiques sont souvent revus et corrigés, voire falsifiés (méconnaissance de la chronologie par exemple). Ainsi pourra-t-on lire quelques pages très instructives à propos de Voltaire, icône de la bien-pensance mise au service de la doxa officielle. La réalité du personnage, preuves à l’appui, fait plutôt frémir !
D’autres pages pointent du doigt ce que Wetzel nomme le « charabia extravagant », alias des discours creux emprunts de novlangue… avec l’exemple du discours de Laurent Wirth au lycée Louis le Grand en mars 2011. Un monument de pédantisme parmi d’autres exemples ! Dans l’avant-propos de l’ouvrage proposé par le CRDP de Versailles pour la mise en place des nouveaux programmes de sixième (octobre 2009) on peut lire : « Dès la classe de sixième, en convergence avec les dernières inflexions historiographiques et épistémologiques, une plus grande place est accordée aux acteurs d’une histoire qui assume son caractère sélectif et construit. Par le levier de la mise en intrigue et par la force de la charge culturelle et patrimoniale qu’ils contiennent, les thèmes au programme mettent définitivement la discipline en rupture avec son appréhension téléologique. »
Un vibrant hommage est rendu à Victor Duruy, grand serviteur de l’Etat et ministre de l’Instruction Publique de 1863 à 1870. Il rendit l’enseignement de l’histoire et de la géographie obligatoire dans l’enseignement primaire.

Pour Wetzel, dénoncer est un préalable à l’état des lieux, étape indispensable à une possible reprise en main mais à condition qu’une volonté politique sans faille se manifeste. Les Fillon, Boissinot, Wirth, Châtel, Hagnerelle, Nembrini, Darcos, Peillon, Blanquer (pour ne citer qu’eux) et qui ont mis le système éducatif dans l’impasse, ont d’ores et déjà perdu toute crédibilité. Et dans cet ouvrage, chacun sera minutieusement repris pour ses actes.
Dans sa lettre-réponse à Bruno Racine, président du HCE (Haut Conseil de l’Education créé en avril 2005) nommé par Jacques Chirac, Laurent Lafforgue, normalien et mathématicien de renom (Médaille Fields de mathématiques) fustige lui aussi et avec beaucoup de courage, les responsables de la déglingue éducative. Ce passage, qui a valeur de diagnostic, a été écrit en novembre 2005. Il est repris dans l’ouvrage de Laurent Wetzel. Aussi, malgré sa longueur, je ne résiste pas au plaisir de le reproduire ci-dessous (il s’agissait d’un commentaire sur l’ordre du jour d’une réunion du HCE) :
« Je ne peux m’empêcher de réagir sur certains points de l’ordre du jour qui me plongent dans le désespoir. Le principal est le suivant : « appel aux experts de l’Education nationale et Direction de l’administration centrale, en particulier Direction de l’Evaluation et de la Prospective (DEP) et Direction de l’Enseignement Scolaire (DESCO). Pour moi, c’est comme si nous faisions appel aux khmers rouges pour constituer un groupe d’experts pour la promotion des droits humains. Je m’explique : depuis que j’ai commencé à m’intéresser sérieusement à l’état de l’éducation dans notre pays (…) je suis arrivé à la conclusion que notre système éducatif public est en voie de destruction totale. Cette destruction est le résultat de toutes les politiques et de toutes les réformes menées par tous les gouvernements depuis la fin des années soixante. Ces politiques ont été voulues, approuvées, menées et imposées par toutes les instances dirigeantes de l’Education Nationale, c’est-à-dire en particulier : les fameux experts de l’Education Nationale, les corps d’inspecteurs (recrutés parmi les enseignants les plus dociles et les plus soumis aux dogmes officiels), les directions des administrations centrales (dont la DEP et la DESCO), les directions et corps de formation des IUFM peuplés de fameux didacticiens et autres spécialistes de soi-disant sciences de l’éducation, la majorité des experts des commissions des programmes, bref l’ensemble de la nomenklatura de l’Education Nationale.

Ces politiques ont été inspirées à tous ces gens par une idéologie qui consiste à ne plus accorder de valeur au savoir et qui mêle la volonté de faire jouer à l’Ecole en priorité d’autres rôles que l’instruction et la transmission du savoir, la croyance imposée à des théories délirantes, le mépris des choses simples, le mépris des apprentissages fondamentaux, le refus des enseignements construits, explicites et progressifs, le mépris des connaissances de base couplé à l’apprentissage imposé de contenus fumeux et démesurément ambitieux, la doctrine de l’élève au centre du système, et qui doit « construire lui-même ses savoirs ». Cette idéologie s’est emparée également des instances dirigeantes des syndicats majoritaires, au premier desquels le SGEN.
Tous ces gens n’ont aujourd’hui qu’un but : dégager leur responsabilité et donc masquer par tous les moyens la réalité du désastre. J’avoue ne pas savoir s’ils étaient de bonne foi ou bien s’ils ont délibérément organisé la destruction de l’école. Je ne sais pas non plus lesquels parmi eux –une minorité de toute façon- n’ont pas participé à la folie collective, ni lesquels y ont participé mais sans se rendre compte des conséquences dramatiques des erreurs accumulées depuis des décennies et seraient prêts à repartir dans une meilleure direction. A priori, j’ai la plus extrême défiance envers tous les membres de la Nomenklatura de l’Education Nationale (…)

Pour moi la question de départ qui est posée au HCE (Haut Conseil de l’Education) est la suivante : voulons nous nous voiler les yeux, ne pas voir l’état dans lequel se trouve l’Education Nationale et confier l’élaboration des avis qui nous sont demandés aux mêmes experts et responsables dont les politiques ont conduit au désastre actuel ? Ou bien voulons nous prendre la mesure de la situation, agir pour tenter un redressement et pour cela rompre radicalement avec tous les hiérarques de l’Education Nationale, entendre des personnes indépendantes qui depuis des années tirent la sonnette d’alarme et réfléchissent aux moyens d’un tel redressement et travailler nous-mêmes, avec l’aide de ces personnes à rédiger des avis sur lesquels les responsables politiques pourraient s’appuyer pour sauver notre système éducatif de la destruction complète et définitive ».

Tout est dit et bien dit ! Inutile de préciser que ce courrier a valu à Laurent Lafforgue d’être rapidement exclu du HCE !
Seul bémol à propos du travail de mémoire entrepris par Laurent Wetzel : qu’il ait attendu d’être à la retraite pour dénoncer ce dont il a été témoin au cours de sa carrière à l’Education Nationale.

Philippe Fretté – Riposte laïque

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