Axel Tisserand, philosophe nourri à la source vive et pure des plus classiques humanités, ayant soutenu, en 2002, une thèse remarquée sur Aristote, Boèce. Logique médiévale et théologie chrétienne, élève de Pierre Boutang, lui-même disciple du Martégal, nous dispense, avec son Actualité de Charles Maurras (sous-titré « Introduction à une philosophie politique pour notre temps ») une magnifique, limpide et haute leçon de maurrassisme intégral, c’est-à-dire intègre, exhaustive et à l’usage théorique et pratique des générations qui viennent. Ce faisant, s’inscrit-il dans le sillage tracé par son lointain devancier Albert Thibaudet qui, il y a cent ans, avait écrit un magistral Les Idées de Charles Maurras, désormais illisible pour qui se trouve dénué de latin et de grec.
Aucune question n’y est éludée, pas même celle – sensible, épineuse, épidermique jusqu’à l’hystérie – de « l’antisémitisme imaginaire » de Maurras qui, en nos temps tyranniques de terne monochromie politiquement correcte, suffit à dilacérer l’enfant de Martigues et à le jeter dans les eaux fangeuses de l’abjection et de l’ignominie. Prenant soin de déminer le terrain, Tisserand n’y consacre pas moins de 80 pages, expliquant, d’une part, que l’on se condamne aux pires contresens si l’on s’obstine à décontextualiser l’antisémitisme maurrassien d’une époque où il était, à gauche comme à droite, largement « posé dans le débat politique et n’interdisait pas […] le dialogue, la disputatio », d’autre part, que cet antisémitisme, exclusivement politique, n’était que la conséquence injustement nécessaire – mais froidement (certes tristement) logique – du nationalisme intégral – celui-ci défendant, indissociablement, le principe d’une monarchie héréditaire, traditionnelle, antiparlementaire et décentralisée. Maurras, lui-même – qui aura manqué sa rencontre avec Péguy –, s’est, par surcroît, toujours fermement défendu de tout racialisme pseudo-scientifique, comme en attestent ses propres mots écrits dans L’Action française du 18 février 1937 (Hitler était alors au pouvoir depuis 1933) : « L’antisémitisme est un mal, si l’on entend par là cet antisémitisme “de peau” qui aboutit au pogrom… »
En outre, insistant sur la dimension éminemment anthropologique de la doctrine maurrassienne, l’auteur opère un substantiel passage en revue de tous les concepts (politique naturelle, « politique d’abord », nationalisme intégral, inégalité protectrice, fédéralisme…), souvent galvaudés et, la plupart du temps, incompris, qui innervent cette pensée foisonnante directement inspirée de la phusis aristotélicienne. Si Carl Schmitt et Julien Freund nous ont enseigné, respectivement, l’existence et l’essence du politique, c’est à Maurras, adossé à la sagesse des expériences passées (le fameux et trop oublié, bien qu’omniprésent, « empirisme organisateur »), que l’on doit d’avoir dégagé les lois fondamentales (c’est-à-dire naturelles) qui la gouvernent et justifient, logiquement, sa transmutation du masculin ontologique au féminin ontique. La politique est le suprême souci du bien commun.
Tisserand rappelle comment le « maurrassisme » n’est pas seulement une appellation commode – bien que susceptible d’abus entre des mains ignorantes –, tant l’on oublie volontiers que ce corps de doctrine à l’édification duquel ont tout aussi bien contribué Bainville, Daudet ou Boutang menait tout droit à la solution monarchique à laquelle le mouvement Action française consacra tous ses efforts, dans la rue comme sur le marbre typographique de son journal. La « France seule » ne signifiait donc pas autre chose que l’intérêt bien compris de ce « nous » multiséculaire qui s’est forgé sous le regard équanime de ses rois, ses « pères » préoccupés de défendre la Cité, c’est-à-dire principalement de la gouverner.
La pensée de Charles Maurras, à propos de laquelle tant de sottises ont été proférées et ne cessent, encore, hélas, d’être déversées par tous les clercs qui ne l’ont évidemment jamais lu, a trouvé son livre. Définitif. Indispensable. Incontournable. Nous en savons infiniment gré à son auteur.
Aristide Leucate – Boulevard Voltaire