L’idiot – Akira Kurosawa (1951) – (Vidéo)

L’Idiot, de Kurosawa, d’après Dostoïevski, est un chef-d’oeuvre. Long, austère, et sans une ride  par la grâce rigide du plus pur classicisme. Le prince Mychkine créé par un Dostoïevski déboussolé à Moscou retrouvée après ses déboires dans l’Occident impie en proie au capitalisme naissant et brutal, sombrait dans l’ «idiotie» christique. Le Kameda d’Akira Kurosawa, lui, dessine un révélateur du Japon de l’immédiat après-guerre, en 1946. L’Idiot n’est plus une métaphore de la bonté terrible, mais un être réel surgi du désastre. Un corps rescapé contre toute probabilité. Gracié au moment ultime, dans un lot de criminels de guerre, ou supposés tels, face au peloton d’exécution. D’où attaque, syncope, démence épileptique (Kurosawa souffrit d’épilepsie), selon la Faculté; «idiotie», traduit en souriant le malade, dans un train le menant à Sapporo, devant un Toshiro Mifune hilare et intrigué. Idiotie: tendresse immense et généralisée pour le monde entier, femmes de mauvaise vie et animaux compris. De quoi rire, autour de lui. Nul ne s’en privera pendant les deux heures trois quarts de ce film qui se veut «le récit de la fin tragique d’une âme pure».

Chaque personnage évolue dans la compréhension de Kameda l’idiot, au rythme de la neige incessante qui s’entasse en croûte, durcit en corne sur les âmes perdues ou blessées. Le spectateur subit ainsi la lente imprégnation de ce film qui glisse sans bruit sur lui-même, comme ces portes japonaises de bois et de papier, fragiles murailles qui protègent du monde. Et de l’hiver. Film crépusculaire, refusant tout spectaculaire. Ainsi le meurtre préfinal de Taéko par Akema (Nastassia et Rogojine, chez Dosto) n’est-il qu’un remuement d’ombres dans des rideaux; ainsi l’évocation du peloton d’exécution et de la grâce qui tombe sur l’Idiot n’existe que dans la bande-son via le bruit de bottes des soldats, des culasses qu’on arme, de la fusillade, quand on ne voit que son visage, plus blanc que neige, qui conte, ose dire toutes les vérités et reconnaît dans les yeux d’une femme méprisée, la belle et entretenue Taéko Nasu, le regard d’un condamné à mort, attaché, face au peloton, à un arbre de Judée (il en était trois sur son Golgotha, seule référence christo-dostoïevskienne). Si Akema et Kameda n’échangent pas des croix, comme dans le roman, mais des amulettes, c’est que Kurosawa respecte plus que la lettre, l’esprit vrai.

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