Il y a longtemps que le jeune ne fait plus rêver cette société. Elle en a peur du jeune, sous sa forme française (FN) comme sous sa forme immigrée (terroriste).
Les chiffres de fr.sputniknews.com m’ont presque remonté le moral ce matin. 80% des retraités ont voté Macron, 44% des plus jeunes ont voté Marine. On n’est pas là pour faire la pub de la patronne du FN, qui aura été nulle de bout en bout, mais celle de la rébellion antisystème qui commence à prendre une belle ampleur.
Or on constate que rien ne vaut la science démographique, et qu’il existe en France comme en Europe un vote rebelle venu des jeunes et un vote système venu des vieux. C’est d’autant plus intéressant que ces vieux ne sont pas les vieux cons de ma jeunesse, insultés par les médias et la France à Charlie, qui avaient un reste de bonnes manières à la française ; ces vieux sont ces ex-jeunes dont se moque Guy Debord dans son film sur la Société du Spectacle. Nourris aux farines animales et amateurs d’autoroutes, ils sont la génération jouisseur ludique, sexe drogues et rock’n’roll, avortement, MJC, gauchisme d’opérette et Cohn-Bendit en goguette. Ils sont aussi la génération du job et des retraites faciles et assurées, la génération Mitterrand qu’avait pourfendue mon éditeur Thierry Pfister dans un pamphlet célèbre.
La jeune génération est victime non pas de la crise mais du système mis en place partout à la chute de l’URSS. Elle est parfois mieux élevée, moins grossière, mais elle crèvera la dalle. A part une minorité de footballeurs et de fils à papa, elle est condamnée comme en Italie à demeurer milleuriste. Elle est technophile, ce qui peut l’abrutir, mais aussi contribuer à la former et à l’informer. J’ai comme cela personnellement des jeunes qui me contactent régulièrement via mes textes ou ma page Amazon et qui tente d’en savoir plus, quand le soixante-huitard ventripotent, tel le chien Ran-Tan-Plan, sent confusément quelque chose de temps en temps, puis va vite à la niche, entre un énième attentat bienveillant et un prélèvement fiscal solidaire. Michael Snyder rappelle que dans cette société, on passe encore neuf heures connectés par jour, dont six devant la télé. Une seule heure pour internet et souvent pour essayer de charger les infos débiles de cette même presse mourante dont on ne veut plus acheter le papier mal recyclé.
La vieille génération (j’en fais déjà partie, donc je me jette la pierre) qui a voté pour le parti inique et unique laissa crever ses grands-parents au moment de la canicule (lisez mon texte sur ce beau symbole), et elle n’a aucune morale. Elle est le fruit de la pensée 68 jadis dénoncée par Luc Ferry dans son moins mauvais livre, elle a coupé le lien anthropologique avec la France. Elle vit pépère en ex-agonie, elle considère mieux Macron que Le Pen parce qu’il faut penser à sa retraite. Le bonhomme de neige qui a pris sa retraite à soixante ans attend bien de la palper jusqu’à cent ans ou cent-dix ans. Après lui le déluge.
Dans son livre sur Charlie, Todd écrivait : « Le système évoque plutôt la politique d’une alliance de castes – mêlant fraternellement ploutocrates, retraités et classes moyennes, publiques et privées, le bloc MAZ – qui accepte l’inégalité… quand cela l’arrange. »
Merkel a un électorat d’âge médian de soixante-deux ans (non, vous ne rêvez pas). Todd sur cette guerre du retraité contre ses héritiers :
« Le vieillissement des populations occidentales produit partout des corps électoraux âgés, dont les préférences guident les décisions politiques. Le libre-échange fut l’un de ces choix. Tout comme la sécurisation prioritaire des retraites, par définition favorable aux vieux. »
Du coup il vote sans rire pour le candidat libéral-social, comme ils disent en Espagne de ce Tintin de prisunic.
Todd ajoute sur notre arthrose idéologique : « Le corps électoral, à 50 ans d’âge médian, n’est décidément plus ce qu’il était à 35. La démocratie change de nature, frappée d’arthritisme. Le taux de suicide des plus de 65 ans baisse et une crise s’annonce pour la philosophie politique, qui va devoir approcher la nature du citoyen de manière plus concrète, plus physiologique ».
Todd observe que le retraité vote comme les élites mondialisées de Chevènement et le cadre bobo abonné à vie à l’Express (je précise qu’à la fin de sa vie le regretté Yann de l’Ecotais, ancien directeur de l’Express justement, adorait mes chroniques intempestives) :
« Pour ce qui nous concerne ici, nous devons constater que la situation des classes moyennes trouve un point d’appui décisif dans l’existence de générations âgées dont les intérêts économiques s’accordent pour l’instant à ceux des cadres et éduqués supérieurs, même si elles-mêmes ne sont en général ni très éduquées ni très riches. »
J’ajoute que ce n’est pas moi qui priverai le retraité de la génération Mitterrand de sa précieuse retraite ; ce sera Macron, sur ordre de ses maîtres. J’ajoute que le système oppresse encore plus la jeune génération d’origine musulmane.
Nous les rédacteurs antisystème n’avons su éviter ni le piège FN ni le piège-système. La pensée sauvage dont parlait Baudrillard à propos du FN doit sortir de ce cadre étouffant. La jeunesse n’en peut plus, elle est martyrisée, et elle a un potentiel réel. Il faut trouver les thèmes, les mots, les idées, susciter les réseaux pour qu’elle comprenne dans quel monde elle vit, ce qu’elle fait déjà. Ensuite il faut lui proposer autre chose que la dynastie Lear-le Pen au second tour de la prochaine élection. Sinon je vous garantis que l’on est mal parti et qu’on sera juste bon à demander refuge à la Patagonie.