On s’inquiétait du sort de Michel Delpuech, le préfet de police de Paris limogé le 20 mars dernier après l’acte XVIII des gilets jaunes, marqué par des violences sur les Champs-Élysées et leurs abords. Nous voici donc rassurés : par décret du président de la République en date du 10 avril, Michel Delpuech vient d’être nommé conseiller d’État en service extraordinaire.
Âgé de 66 ans depuis le 13 février dernier, on aurait pu imaginer qu’il soit invité à faire valoir ses droits à la retraite pour aller cultiver son jardin, écrire ses mémoires ou faire du sudoku devant son écran plat. Mais le service de l’État est plus fort que tout. Et puis, ne faut-il pas que l’exemple vienne du haut ? Régulièrement, un ministre est préposé aux matinales pour expliquer aux Français qu’il va falloir travailler plus longtemps, rapport à l’entrée de plus en plus tardive dans la vie active et à l’allongement de la vie. En plus, on imagine bien que faire conseiller d’État en service extraordinaire doit être autrement plus harassant que de s’occuper de chiards dans une école élémentaire, vider les tinettes à l’hospice ou faire les trois huit. Moins fatigant, certes, que préfet de police avec Castaner au bout du fil toutes les cinq minutes, nuit et jour, même – surtout ! – le week-end, mais quand même… Donc, effectivement, on peut voir ça comme ça et saluer le geste.
Évidemment, les esprits tordus peuvent voir la chose autrement. Le Conseil d’État en service extraordinaire, ça doit être encore une de ces prébendes dont seule la France a le secret, deux cent trente ans après la prise de la Bastille, la nuit du 4 août et toutes ces sortes de choses folkloriques. Avant la Révolution, justement, on renvoyait dans ses terres celui qui avait failli dans l’accomplissement de sa mission, avec l’obligation de ne pas en sortir et de ne surtout pas réapparaître à la cour. Parfois, on embastillait. Pire : il arrivait même que l’on exécutât en place de Grève. En 1766, ce fut le cas du pauvre Lally-Tollendal, bouc émissaire des défaites de la France durant la guerre de Sept Ans, après son échec aux Indes. Aussi, on ne dira jamais assez les bienfaits que la Révolution française a apportés à notre pays, notamment à la haute noblesse, tout du moins à celle que la République s’est inventée depuis lors. Elle ne risque pas sa tête sur le billot parce que des sans-culottes ont saccagé les Champs-Élysées, faute de pouvoir démolir la Bastille, vu que ça, c’est fait.
Cela dit, on notera que la République a su prendre ce qu’il y avait de bon dans la royauté. Par exemple, justement, les conseillers d’État en service extraordinaire. C’est, en effet, par une ordonnance du 5 novembre 1828 que Charles X décida que le service extraordinaire serait réservé à « ceux de nos sujets exerçant des fonctions publiques auxquels, en récompense de leurs bons services, il nous plaît d’accorder ce titre… » Voilà, voilà.
Évidemment, aussi, les gagne-petit et autres pousse-mégot vont nous enquiquiner sur le salaire du conseiller d’État en service extraordinaire. Qu’est-ce qu’on peut être mesquin lorsqu’on appartient au tiers état ! D’abord, il ne perçoit pas un salaire. Il reçoit, nous dit le décret ad hoc, une indemnité. Nuance. Une misère, en plus : 18.700 euros bruts par an en fixe et une part variable qui peut monter à 55.000 euros.
On notera que l’un des derniers nommés comme conseiller d’État en service extraordinaire par le garde des Sceaux est le docteur Yves Lévy, qui n’est autre que le mari d’Agnès Buzyn. Encore un exemple qui vient du haut : le docteur Lévy aura 62 ans, cette année. Et il y a encore des Français qui nous emmerdent avec leur retraite à 60 ans. Franchement…
Georges Michel – Boulevard Voltaire